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(Novembre 1996 - numéro 11)

 

À la lecture des articles sur l'inégalité des salaires entre les femmes et les hommes (La Lettre blanche n°10), nos colonnes s'ouvrent encore un peu.

À propos du questionnement de Roland Pfefferkorn…

…sur la bonne manière de faire les comparaisons de chiffres entre deux populations. Je reprends l'exemple qu'il donne in fine d'un salaire féminin de 100'000 F et d'un salaire masculin de 200'000 F. La comparaison s'impose: il faut rapporter le salaire de la femme à celui de l'homme et dire que la première gagne 50% de moins que le second. Pourquoi? Parce ce qu'en prenant l'homme comme référence, on aboutit à la conclusion que la femme est désavantagée par rapport à celui-ci, ce que l'on veut montrer en l'occurrence, me semble-t-il. On compare l'anormal au normal. Si on fait l'inverse, on postule que le salaire de la femme est normal! et on arrive à la conclusion que celui de l'homme est trop élevé! On dessert alors et la cause des femmes et celle des salariés.

Je ne fais ici que rejoindre les judicieuses remarques de Claude Bressand. Si je me permets d'y revenir, c'est que ce problème est souvent mal traité. Ainsi dans une thèse sur la scolarité dans un pays en développement, un doctorant avait rapporté systématiquement les effectifs scolarisés masculins sur les effectifs scolarisés féminins. D'où une impression de «sur-scolarité» masculine!

Pourquoi avait-il fait la comparaison de cette façon? Tout simplement parce qu'il était démographe et que les démographes rapportent beaucoup plus fréquemment les effectifs masculins sur les effectifs féminins, c'est-à-dire, calculent des rapports de masculinité plutôt que des rapports de féminité. Mais ce n'est pas sans raison. Partons des effectifs par sexe à la naissance. On sait que pour 100 naissances féminines, il y 105 ou 106 naissances masculines. Cette façon de présenter les choses ne se justifie pas plus que la façon inverse: pour 100 naissances masculines, il y a 94 ou 95 naissances féminines. Pourquoi utilise-t-on cependant systématiquement le rapport de masculinité? Parce qu'avec l'avancée en âge, ou en remontant la pyramide, les effectifs masculins décroissent anormalement vite par rapport aux féminins, pris comme normes. En effet, comme nous espérons vivre le plus longtemps possible, nous prenons comme référence la mortalité la plus faible. C'est d'ailleurs pourquoi on mesure la sur-mortalité et non la sous-mortalité.

 

Alfred Dittgen

 

À propos de l'article de Claude Bressand

Je serai d'accord en tout sur ce que Claude Bressand écrit. Sauf sur l'angélisme implicite. L'auteur nous invite à croire que chacun souhaite être clair. Rien n'est moins sûr, quelque regret qu'on en ait. Il est bien vrai que, de deux présentations statistiques, toutes deux formellement exactes, l'une ou l'autre convient mieux selon le contexte. Mais il est de fait que l'on voit choisir, tendancieusement, celle qui est la plus flatteuse pour la thèse de celui qui parle.

Un exemple, plus simple encore que celui des pourcentages «en dedans» et «en dehors». Il y a plusieurs années, dans un rapport du CERC, nous avions donné le salaire médian. Je ne sais plus quel était le chiffre, à l'époque; mais cela n'a pas d'importance ici; mettons que ç'ait été 3000 F par mois. Rendant compte de notre rapport, un journal (de droite, évidemment) titrait «La moitié des salariés gagnent plus de 3000 francs par». Et un journal (de gauche, par hypothèse) titrait le même jour «La moitié des salariés gagnent encore moins de 3000 francs par mois». Aucun des deux n'était répréhensible.

De même, il est plus apaisant de constater que les femmes gagnent, en moyenne, 20% de moins que les hommes; et plus alarmiste de révéler que les hommes sont payés 25% de plus que les femmes. Suivons donc les conseils sages de Claude Bressand: mais restons lucides quant aux tentations des acteurs engagés.

 

René Padieu

 

Réponse de Claude Bressand

J'affirme dans le numéro 10 que, dans nombre de cas, le choix de la base de référence pour la comparaison de deux niveaux peut (et devrait?) s'appuyer sur des critères de portée générale, en s'inspirant notamment du contexte. Certes, ce n'est pas toujours le cas. De plus, même s'il en est ainsi, l'utilisateur peut préférer une pertinence différente. Peut-on souhaiter alors que l'affichage de la motivation du choix soit le plus souvent possible préalablement explicitée?

Cette précaution - courtoisie à l'égard du lecteur - permettrait de réduire le sentiment de perplexité, de confusion, de malaise, l'impression d'arbitraire que suscite encore trop souvent, comme le souligne R. Padieu, la lecture des commentaires statistiques.

 

Claude Bressand

 

À propos du texte de Dominique Meurs
(«Toutes choses égales par ailleurs»)

J'ai beaucoup apprécié ce papier. Quand on compare un phénomène entre deux populations on peut s'en tenir aux différences brutes ou se livrer à une comparaison plus approfondie en se servant du "toutes choses…". Les démographes connaissent bien ce problème, particulièrement dans le domaine de la mortalité. Ainsi en 1995, le taux de mortalité de l'Allemagne était de 11 pour 1000, celui du Botswana de 7 pour 1000. Or, l'espérance de vie de l'Allemagne était de 76 ans, celle du Botswana de 63 ans (tous chiffres de Population et Sociétés, 1995, n° 304). Ce paradoxe n'est évidemment qu'apparent. Une analyse plus approfondie montrerait que les taux de mortalité par âge, la mortalité intrinsèque, est plus élevée au Botswana qu'en Allemagne, mais que ce dernier pays présente une structure par âge plus vieille, ce qui lui donne un taux de mortalité, dit précisément taux brut, plus élevé.

Faut-il alors se débarrasser très vite de ces taux bruts? Non! Pourquoi? Parce qu'ils donnent une image complémentaire de la réalité. La mortalité ce n'est pas seulement les risques de décès, la mortalité intrinsèque, c'est aussi un des facteurs d'accroissement de la population, lequel est précisément mesuré par ce taux brut. On peut même s'intéresser à un indice encore plus grossier: le nombre de décès, lequel a aussi son intérêt, ne fût-ce que pour les pompes funèbres…

Il n'y a donc pas d'indices significatifs et d'autres qui ne le seraient pas. Chaque indice a sa signification. Or, il me semble que dans les médias, même cultivés, on utilise un peu trop facilement l'indice qui sert la cause que l'on veut défendre et on néglige les autres. Je prends pour exemple encore la différence de salaire hommes/femmes et, d'autre part, la proportion de personnes incarcérées, chez les Français et chez les étrangers. Concernant la première j'ai lu dans Le Monde il y a un ou deux ans (j'ai eu tort de ne pas avoir gardé l'article et les rédacteurs de Pénombre m'accuseront de ne pas citer mes sources, tant pis!) un article en première page qui traitait de ce problème et qui se moquait de l'analyse «toutes choses…», pour conclure ironiquement qu'elle aboutissait à dire que si les femmes étaient des hommes, il n'y aurait pas de différence de salaire. Bref ce qui importait au rédacteur en question, c'était le scandale de la différence et pour lui les explications du genre structures et «toutes choses…» ne faisaient que noyer le poisson.

À l'inverse, quand on traite des taux d'incarcérés selon la nationalité, taux plus importants pour les étrangers que pour les Français, on s'éloigne très vite des différences brutes, qui révèlent pourtant aussi une réalité. Il est vrai qu'il faut savoir les interpréter. Ainsi, il y a des causes d'incarcération qui ne concernent que les étrangers (situations irrégulières). Cependant les incarcérés pour ces causes mis à part, la différence reste importante. On dit alors qu'elle n'est pas significative d'une «surdélinquance» liée à la nationalité, parce que, en gros, les étrangers sont plus jeunes et moins riches que les Français. Or les crimes et délits sont davantage le fait des jeunes et des pauvres. Cela étant, ce n'est pas parce que la surdélinquance des étrangers ne s'explique pas par le facteur national qu'elle n'existe pas. Pour ceux qui risquent d'être victimes de la délinquance, ce sont les différences brutes qui importent et non leurs explications.

Bref, quand le groupe que l'on défend, légitimement, présente une différence brute qui lui donne une image antipathique, on a tendance à analyser les chiffres, pour trouver l'explication de ce phénomène. Au contraire, quand cette différence lui donne une image sympathique, on a tendance à s'en tenir là.

Ma réflexion basée sur bien des lectures manque ici de références. Je promets de les noter à l'avenir et de les livrer aux lecteurs de Pénombre, car le défaut signalé persistera, n'en doutons pas.

 

Alfred Dittgen