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LUMIERES SUR LA VILLE

(Mars 1997 - numéro 12)

 

Bene amat, bene castigat

Les éditions La Découverte viennent de rééditer un petit livre de Joseph Klatzmann, dont je conseille la lecture, qui s'intitule «Attention statistiques! Comment en déjouer les pièges?»

Dans son avertissement, l'auteur écrit ceci: «Je ne peux critiquer que ce dont j'ai eu connaissance, parce je l'ai lu ou entendu. Or je lis surtout […] des ouvrages sérieux. Et le seul quotidien que je lise régulièrement, Le Monde, est lui aussi connu pour son sérieux. Le résultat est que la plupart des exemples que je cite proviennent de ces ouvrages et de ce journal. N'en déduisez surtout pas que ce sont eux qui font le plus de fautes, qui vous dressent le plus de pièges statistiques - bien au contraire.»

«Bien au contraire»… trois mots de trop, cher professeur. Comment savez-vous que Le Monde est plus «sérieux» que tel autre puisque vos habitudes vous amènent à ne lire qu'un journal? Cela m'a toujours frappée de voir des intellectuels, des scientifiques, habitués aux recoupements des sources, à la prise en compte des approches les plus contradictoires, se contenter de la lecture d'un seul journal, fût-il déclaré, une fois pour toute «le plus sérieux du monde».

Cela me fait penser aux lecteurs de nos provinces pour qui il existe un terme générique: «le journal». «Avez-vous lu le journal?», «Tu achèteras le journal, s'il te plaît.» Dans ces phrases il n'est nul besoin de préciser, à Argentan ou à La Mure, qu'il s'agit de Ouest-France ou du Dauphiné libéré.

Pénombre aussi tombait dans ce travers d'ériger Le Monde en parangon des quotidiens. Mais je constate que ma mercuriale en comité de rédaction l'autre soir a porté ses fruits, à en juger par le n°11. On y cite certes Le Monde mais aussi France 2, La Croix, Le Figaro, Libération, La Vie, l'Événement, l'Express et aussi Population et Société, La Revue française des affaires sociales, Informations sociales et même La Lettre du Gouvernement et Le Courrier de la Chancellerie.

On continue cependant d'ignorer la presse de province, celle que la plupart des gens de notre pays lisent. Le colonel, lorsqu'il est là, lit attentivement le Dauphiné libéré tous les matins et m'en fait un compte rendu très pertinent pendant que je brise ma biscotte au creux de la main à cause du beurre trop froid.

Nous ne lisons le Monde que le soir, comme à Paris, mais avec un jour de retard. Dois-je préciser, pour nos amis de la rue Claude Bernard, que le Colonel et moi sommes abonnés au Monde depuis 1950? A l'époque, j'étais professeur de mathématiques au Lycée Buffon à Paris. Je vois encore le préposé m'apporter notre premier journal. C'était un lundi, le 17 juillet 1950 si ma mémoire est bonne. Nous avons parlé ensemble de la une qui annonçait un entretien avec le maire de Hiroshima: «Le nombre véritable des victimes de la bombe atomique très supérieur aux chiffres officiels a dû dépasser deux cent mille».

Nous étions en pleine guerre de Corée et le Colonel qui suivait la situation sur les cartes, au jour le jour, était plein d'inquiétude, (je n'ai jamais élucidé l'activité qu'il avait alors, faite de feuilles griffonnées et de coup de téléphones étouffés). Les Nord-Coréens venaient de franchir le fleuve Kum revêtus d'uniformes américains, menaçant ainsi gravement les lignes de défense des États-Unis. C'est alors que j'ai pris l'une des décisions les plus importantes de ma vie.

Bref, je crains que Maud, votre nouvelle secrétaire de rédaction, que j'ai eue au téléphone, ne censure mon texte. J'en reste par conséquent à mon conseil du début: la lecture du livre de Joseph Klatzmann, plein de choses intéressantes. Je lui ai d'ailleurs écrit pour lui parler de notre association et l'inviter à nous rejoindre.

 

Clara H.

 

NdlR. Chère Clara, nous cherchons toujours à exaucer vos vœux. La rédaction vient d'abonner Philippe Combessie, adhérent de Pénombre et sociologue, à Ouest-France pour six mois. Vivant au jour le jour à l'heure du «plus grand quotidien de France», Philippe se voit chargé d'y porter le certain regard de notre publication et de nous raconter ce qu'il aura vu. Si une méthodologie peut être élaborée à cette occasion, nous reproduirons l'expérience avec d'autres journaux et d'autres adhérents, et même au Dauphiné libéré au risque de rompre le charme.