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VISION (Octobre 1999 - numéro 19) Que sont les RMIstes devenus? - Ces chiffres qui nous gouvernent
Malgré l'augmentation considérable du nombre des RMIstes, depuis 1991 aucune étude précise n'avait été menée sur leur devenir. Depuis 1991, le nombre de bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) a été multiplié par deux pour atteindre près d'un million de personnes 1. Parallèlement, le nombre officiel de chômeurs a augmenté de 45% et celui des emplois précaires de 60%. L'enquête qui vient d'être réalisée par l'INSEE, et dont les premiers résultats détaillés présentés par Cédric Afsa viennent d'être publiés en février 1999 par la Caisse Nationale des Allocations familiales, apporte quelques lumières nouvelles 2. En voici les principaux résultats assortis de quelques interrogations.
Des RMIstes, jeunes, peu diplômés, en mauvaise santé et avec un réseau social fragile 30% des RMIstes ont moins de 30 ans, 48% moins de 35 ans. Ils sont moins couverts par le système global de protection sociale et souvent c'est leur dernier recours après avoir épuisé leurs droits à prestation pour couvrir leurs besoins. Les moins de 30 ans représentent même plus de la moitié des nouveaux entrants au RMI, mais comme ils en sortent aussi plus rapidement que les autres, leur part à un moment donné, par exemple en janvier 1998, est de 30%. Le niveau de formation des RMIstes est faible: 51% n'ont aucun diplôme ou le certificat d'études primaires, près de 30% un BEPC, un CAP ou un BEP. La part de ceux qui ont un baccalauréat ou un diplôme d'études supérieures atteint cependant près de 20%; cette part est en forte augmentation: elle a été multipliée par trois en cinq ans! Cette augmentation est liée à l'afflux de jeunes qui restent moins longtemps. 80% des bénéficiaires du RMI sont des allocataires "isolés" au sens administratif. Ils ne vivent pas tous pour autant dans l'isolement puisque une part importante d'entre eux est hébergée par des parents ou des amis (ce qui n'est certes pas un facteur d'autonomie mais marque néanmoins un minimum de réseau social). Enfin, près de la moitié des RMIstes ont des problèmes de santé. Reste à savoir si les personnes à santé déficiente restent plus longtemps dans le dispositif du RMI parce que leurs chances d'accéder à un emploi sont moindres ou si, au contraire ces personnes ont eu des difficultés à sortir du RMI pour d'autres raisons et que leur état de santé s'est dégradé au fil du temps.
15% seulement s'en sont sortis L'enquête permet de mesurer ce que deviennent en janvier 1998 les RMIstes de décembre 1996. Ceux qui sont entrés dans le dispositif après le 31 décembre 1996 et qui sont sortis au cours de l'année 1997, c'est-à-dire avant janvier 1998, échappent par conséquent à l'enquête qui pratique en quelque sorte une "photographie" à deux moments donnés, mais sans "filmer" ce qui se passe entre-temps. Une partie de la réalité reste donc dans l'obscurité. Sur 100 RMIstes en décembre 1996, 29 sont sortis du dispositif en janvier 1998 et 71 s'y trouvent toujours. Mais seulement la moitié parmi celles qui sont sortis travaillent. Une personne sur sept parmi celles qui se trouvent toujours dans le dispositif travaille aussi, mais près de 60% de ces dernières recherchent un autre emploi en raison de l'importance du temps partiel contraint et de la faiblesse des rémunérations. Inversement, près de 6 RMIstes sur 10 en décembre 1996 sont toujours à la recherche d'un emploi en janvier 1998, la plupart à plein temps. Enfin, il faut noter que, globalement, l'état de santé de cette dernière catégorie n'est pas bon. Bref, 15% seulement de ceux qui touchaient le RMI en décembre 1996 sont sortis du dispositif et ont désormais un emploi. Ce chiffre nous semble être le plus important à retenir de cette enquête. Et non pas le chiffre implicite de 50% retenu par une autre publication (INSEE Première) qui titre à propos de la même enquête: "Plus de la moitié des sorties se font grâce à l'emploi". Certes, il est vrai que plus de la moitié des sorties se font grâce à l'emploi, mais d'une part cela implique que près de la moitié des RMIstes quittent le dispositif sans trouver un emploi, c'est cette proportion qui nous semble énorme et qu'il faudrait mettre en valeur; d'autre part, et surtout, il faut rappeler que 29% seulement des RMIstes de décembre 1996 quittent le dispositif, "plus de la moitié des sorties" renvoie par conséquent à "plus de la moitié de ces 29%", c'est-à-dire au bout du compte 15% de l'ensemble! Sur le court terme, même si leur situation reste particulièrement fragile, on peut considérer que ces 15% s'en sont sortis. L'enquête montre en outre que ces derniers ont plutôt des caractéristiques sociales favorables. Les personnes concernées habitent dans des bassins d'emploi moins touchés par le chômage, elles sont plutôt jeunes, plutôt diplômées et en bonne santé. Les emplois occupés par ces ex-RMIstes sont des emplois d'ouvriers ou d'employés, faiblement rémunérés, plus de la moitié touchent moins de 5'000 F par mois, précaires, à temps partiel contraint ou en contrat à durée déterminée (CDD), une fois sur deux dans le secteur public ou associatif, notamment sous forme de contrat emploi solidarité (CES) ou de contrat emploi consolidé (CEC). Ces 15% d'ex-RMIstes semblent donc s'en être sortis. Ceci explique probablement, malgré l'instabilité de leur situation et la précarité de leur condition, ces ultimes résultats de l'enquête: plus de 80% de ces ex-RMIstes "se sentent mieux" depuis qu'ils ont pris un travail, près de trois quarts considèrent qu'ils ont un "vrai travail", et les deux tiers qu'ils sont dorénavant "plus à l'aise". C'est dire à quel point ces personnes viennent de loin Mais, n'oublions pas, dans le même temps, la plupart des RMIstes de décembre 1996 sont toujours dans le dispositif, en janvier 1998
Roland Pfefferkorn
1 Le RMI est une allocation différentielle. Son montant est la différence entre le niveau de ressource garanti par le RMI, et le montant des ressources que perçoit l'allocataire quelle qu'en soit la nature. Le montant du RMI dépend de la configuration familiale. 2 "L'insertion professionnelle des bénéficiaires du RMI", Recherche, prévisions et statistiques, Cnaf 1999.
Ces chiffres qui nous gouvernent La critique qui précède a été écrite en mars 1999, à l'occasion de la parution de l'étude de l'INSEE. Elle était prémonitoire. Dans un éditorial du 31 juillet (Pendant les vacances, la pauvreté continue), Le Monde reprend ces résultats. Il appelle à un renforcement de l'action menée contre la pauvreté. Action qui peut être efficace: " Le revenu minimum d'insertion (RMI), en dépit de ses limites, produit ses effets: selon une étude de l'INSEE publiée au début de l'année, plus de la moitié des allocataires en sortent vers un emploi précaire". Inutile d'insister sur les fâcheuses conséquences de la brièveté qu'un éditorial impose. On ne peut que rejoindre Roland Pfefferkorn: s'il faut résumer en une phrase, mieux vaut la sienne, parlant de 15% de RMIstes qui s'en sortent. Et l'éditorial en aurait été changé. Le délit était préparé par Le Monde dans son édition du 4 février 1999. Un article de Jérôme Fenoglio rendait compte de l'étude de l'INSEE ainsi: " l'enquête montre surtout que pour plus de la moitié des anciens allocataires, la sortie a été rendue possible par un emploi obtenu par le bénéficiaire lui-même ou par son conjoint. Sur l'ensemble de l'année 1997, 61% des sorties du dispositif se sont ainsi effectuées grâce à l'emploi alors que 23% ont débouché sur un remplacement du RMI par une autre allocation (chômage, invalidité ou vieillesse). "On sent le glissement s'amorcer (de la moitié des sortants à la moitié des anciens allocataires, en attendant la moitié des allocataires), mais rien n'est franchement contraire aux résultats évoqués plus haut. Mais bien sûr, tout se gâche avec le titre: "plus de la moitié des allocataires sortent du RMI vers un emploi précaire". Il y a une grosse différence avec le "plus de la moitié des sorties se font grâce à l'emploi" de l'INSEE, qui cependant avait bien savonné la planche. Ainsi va la vie du chiffre. Bruno Aubusson de Cavarlay |