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FEUILLES D'AUTOMNE (Octobre 1999 - numéro 19)
Illustration extraite de "Siona à Paris", de Myriam
Harry,
Chiffon de papier - Conte de nonnes nonagénaires - Ceux qui croient croître - L'optimisme fécond (sic) - La formule de la richesse - Chiffres à façon - Never say never - Nouvelles peu fraîches - Les fumées de l'ivresse - Poids et mesures - L'éclipse et la virgule
Marianne (n° 93, février 1999) met en vedette sous l'intitulé "le chiffre qui chiffonne": "266'450. C'est le nombre d'entreprises qui, en 1998, ont été créées en France." Ça vous chiffonne, vous? En fait, ce qui pourrait chiffonner, c'est que, poursuit le journal, cela fait 2% de moins que l'année précédente. Préoccupant. Mais, on lit aussi que cette baisse est surtout due aux huit premiers mois de l'année. On imagine alors - mais rien ne vient nous le préciser - que l'on avait plongé de plus que de 2% en début d'année; puis que les créations se seraient redressées ensuite. Autrement dit, on n'a pas encore rattrapé le retard pris, mais la situation s'améliore dorénavant. Vous êtes toujours chiffonné? Ce qui est chiffonnant, par contre, c'est d'avoir pris le total des créations sur une année, là où le profil infra-annuel s'inverse. On risque ainsi de conclure à contretemps, par pessimisme sans fondement ou par optimisme non étayé.
René Padieu
Dans une chronique parue à la page 109 du numéro spécial de La Recherche consacré au vieillissement (juillet-août 1999), nous lisons ceci: "l'évitement des activités intellectuelles constitue un facteur important de mauvais vieillissement. En témoigne une étude sur 170 nonnes du Minnesota, montrant que celles qui vieillissaient le plus mal étaient celles qui avaient été les moins bien scolarisées." Ce témoignage d'une étude unique, à faible échantillon et dans une population, il faut bien le dire, assez particulière semble un argument faible en faveur de la règle énoncée. Les nonnes du Minnesota ont-elles donc cette particularité justement de n'en avoir aucune? Ce qui n'empêche pas du reste la règle en question d'être peut-être vraie. On vous fait grâce, aussi, de la corrélation sans doute un peu lâche qu'il doit y avoir entre la qualité (?) de la scolarisation et l'activité intellectuelle à l'âge adulte.
Mélanie Leclair
Recommandons à notre lecteur la lecture de l'article intitulé "La croissance est-elle encore mesurable?", publié par Alternatives Économiques (février 1999) sous la signature d'A. Parienty, et qui s'appuie pour partie sur des chiffrages de l'INSEE 1. Ce que produit globalement l'économie (le PIB) est mesuré en faisant la somme de la valeur de tous les biens ou services produits. Mais, l'augmentation de cette somme résulte pour partie de l'augmentation des prix de biens inchangés. Pour mesurer la "croissance", on en déduit donc la hausse des prix. Or, pour mesurer celle-ci, il faut comparer les mêmes produits à deux dates. Que faire, si on ne retrouve pas exactement les mêmes produits? De nouveaux apparaissent, d'autres disparaissent et certains se substituent à d'autres sans leur être tout à fait équivalents. Les statisticiens ont imaginé diverses façons de retrouver une variation de prix à qualité équivalente. Un exemple particulièrement aigu est celui des micro-ordinateurs. Une première méthode donnait 30% de baisse de prix en trois ans. Une autre, qui prend mieux en compte l'amélioration des performances, aboutit à -40%. Dans le premier cas, on mesurait la production en divisant l'évolution de la valeur totale des micro-ordinateurs par 0,7; avec la méthode améliorée, il faut diviser par 0,6. Cette second voie chiffre la production à 17% de plus que la première (0,7/0,6 = 1,17). Si ces effets de qualité sont mal appréhendés, on sous-estime la croissance. Or, ce qui se produit pour l'informatique se produit dans beaucoup de secteurs. Notamment pour les services. La difficulté de mesure révèle en fait l'ambiguïté de ce qu'on voudrait mesurer. La notion que nous avons de la "croissance" reste axée sur "l'accumulation de biens homogènes: davantage d'acier, de logements, de textile. La dématérialisation de la production la rend insaisissable et la multiplication des innovations complique les comparaisons." Ainsi, "la difficulté croissante éprouvée par les statisticiens à appréhender la croissance révèle bien que celle-ci change de nature." On s'aperçoit qu'on ne sait plus ce que "croissance" veut dire. Une vertu du nombre n'est pas seulement de mesurer ce qui a un sens, mais de remettre en question le sens que nous pensions donner aux choses.
René Padieu
1 "L'indice des prix à la consommation surestime-t-il l'inflation ?", F. Lequiller, Économie et statistiques n°103, 1997.
Le nombre de naissances en France s'est redressé de quelque 2% en 1998 par rapport à 1999. La Presse unanime s'en est félicitée. Cela étant, Le Figaro (9 février 1999) tempérait cet enthousiasme: c'est un sursaut dans un déclin de plusieurs années et l'indicateur conjoncturel de fécondité ne remonte qu'à 1,75 enfant par femme. Il avait raison: une hirondelle ne fait pas le printemps. Pourtant, le même Figaro, perdant cette louable retenue, avait trouvé (v. Pénombre n° 17) qu'avec 42 optimistes pour 58 pessimistes, soit un indicateur synthétique égal à -16, les Français étaient "très optimistes". Entre-temps, cette proportion s'est encore améliorée: l'indicateur est monté à -7 en février, donc encore négatif. Ce journal comme ses confrères ont salué ce sommet "historique". Or, le même article, du 9 février, établit un lien entre ce regain de natalité - à relativiser - et le moral des Français "qui le montrent en faisant des bébés". Il ne va pas jusqu'à relativiser aussi cet optimisme nouveau. Il est vrai que la formule du Figaro reste modérée. L'éditorialiste des Échos (9 février aussi) n'y va pas par quatre chemins, lui: "les optimistes y ont spectaculairement distancé les pessimistes". Ils sont devant, à 7 mètres en arrière! Mais, ce n'est pas fini. Six mois plus tard, avec une cote encore à -8, l'optimisme est devenu euphorie! C'est l'AFP qui nous le rapporte (4 août 1999). Libération en fait même sa une, qui titre "l'été de l'euphorie". L'AFP nous révèle aussi que ce n'est pas un journaliste dithyrambique qui le dit: c'est "un des principaux conjoncturistes de l'INSEE". Si c'est l'expert qui parle, nous n'avons qu'à nous incliner.
Mélanie Leclair
Grâce à la revue Mieux vivre votre argent (février 1999, n° 221), nous apprenons que deux experts américains de la fortune, MM. Stanley et Danko, ont mis au point non pas - ne vous réjouissez pas trop vite - la recette pour devenir riche, mais du moins une formule pour savoir si on l'est. Et, une formule d'une grande beauté, vu sa grande simplicité. Jugez en. Si A est votre âge et si R est votre revenu annuel, vous devriez avoir un patrimoine égal à: P = A x R/10. Il faut compter dans votre revenu tout ce que vous avez gagné, à l'exclusion des dons ou héritages que vous auriez reçus. De même, le patrimoine P que vous devriez avoir s'entend non-compris les dons et héritages: autrement dit, seulement ce que vous avez mérité. Maintenant, si votre patrimoine effectif n'est pas égal à ce montant, c'est que vous avez accumulé au cours de votre vie trop ou trop peu. Si par exemple votre patrimoine est le double, vous êtes "un prodigieux accumulateur"; s'il est de moitié seulement, vous êtes "un médiocre accumulateur de richesse". Voilà! c'est tout simple. Vous pouvez déterminer très facilement si vous êtes du genre cigale ou du genre fourmi. Pour les gens savants: on remarque que cette formule respecte bien "l'équation aux dimensions" chère aux physiciens. En effet, si R est en francs par an, l'âge étant en ans, le produit A x R est en francs: donc, homogène à P qui est aussi en francs. Ce qui veut dire que la formule reste valide si on change d'unité monétaire. Au moins, vous voici à l'abri du "bug de l'euro". C'est beau, quand même, la mathématique. René Padieu
L'INSEE publie (1er février 1999) une étude sous le titre "Famille je vous aide". En suite de quoi:
Au Journal de 20h de TF1, le 24 août 1999, J.-C. Narcy cite une statistique: "40% des Français ne partent jamais en vacances". Qu'est-ce que ça veut dire? Sans doute, on peut vouloir dire quelque chose. On peut croire que l'on a compris quelque chose. Mais, quoi? Evacuons d'abord ce qui ne fait pas trop problème. "Les Français" ne désignent pas ceux qui ont cette nationalité, mais sans doute ceux qui, Français ou étrangers, résident sur le territoire français (y compris les DOM? Ce n'est pas dit. Implicitement, la plupart des enquêtes sont limitées à la Métropole). Ensuite, ces habitants de la douce France comptent des nourrissons et jeunes enfants pour qui la notion de vacances n'a sans doute pas grand sens. Des infirmes et des vieillards, aussi, qui ne bougent pas de chez eux. Rigoureusement, ils font bien partie de ceux qui ne partent pas et ils contribuent donc aux 40% cités. Or, derrière le constat rapporté, il y avait un jugement, un regret: 40%, c'est trop. Soit. Mais, le souhaitable est-il alors que 100% partent? ou, faut-il rapporter les 60% de départs à la partie seulement de la population dont on estimerait normal qu'elle parte? combien cela fait-il: 80? 90? Bref, nous manquons d'une référence. Ou alors - un doute me vient - n'aurait-on interrogé que les gens normalement susceptibles de partir? par exemple, les habitants de 7 à 77 ans? Mais alors, mais alors, on nous a menti à notre insu: ce n'est pas 40% des Français, mais 40% des adolescents et adultes. Venons-en au pire. Que veut dire "ne jamais partir"? Je comprends ce que serait "ne sont pas partis en 1998": parmi eux, certains étaient partis en vacances l'année précédente, ou dans un passé plus ancien; notamment lorsqu'ils étaient écoliers. Je comprendrais aussi "ne sont jamais partis, de leur vie". Cela, c'est factuel: ça s'observe. Mais, "ne jamais partir", ce n'est plus un fait passé que l'on peut avoir observé: c'est un élément constitutif de la personne qu'on a devant soi. Elle ne part pas. Parce qu'elle a décidé, une fois pour toutes, qu'elle ne partirait jamais. Ou bien, elle partirait volontiers, mais elle se heurte à un empêchement permanent. Permanent: on ne nous dit pas "n'ont pas pu partir en 1998" ou "n'ont jamais pu partir jusqu'ici". "Ne partir jamais" vaut pour le passé et pour l'avenir prévisible. Si encore on nous disait "40% disent ne jamais partir", on y verrait plus clair (moins sombre): ce que quelqu'un dit est un fait, observable, mesurable. Même si ce qu'il affirme est une erreur, un mensonge ou un non-sens. Bien sûr, il resterait à discerner ce que les enquêtés mettent derrière ce qu'ils disent. Ici, on peut risquer des conjectures. Notamment: qu'ils portent ce jugement sur une période à la fois passée et future mais limitée, les années récentes et les prochaines, période durant laquelle ils ont le sentiment que leur situation n'a pas significativement varié. Ça exclut "avant" (quand j'étais jeune, quand j'avais encore mon emploi, quand je n'avais pas d'enfants ). Et, ça englobe le temps que risque de durer cette situation (si ceci m'arrivait, quand je n'aurai plus cela, etc., alors ). Là, on comprend bien qu'il s'agit d'une actualité subjective, durable mais pas éternelle. Ils ne veulent pas signifier tous la même chose. La statistique cumule alors des opinions; non des faits. Car, les faits que recouvrent ces diverses réponses ne sont pas commensurables. Mais dans ce cas, il faut la donner comme telle et non la formuler comme l'observation de départs (ou, plutôt, de non départs) effectifs.
René Padieu
Lu dans Le Monde daté du 24-25 janvier 1998, à propos de l'ex-délégué général du Front national, désormais président du Front national bis: Son objectif? "Rassembler les 30% d'électeurs qui ont voté au moins une fois pour le Front national". Christiane Chombeau, qui signe l'article en question, cite ce pourcentage, sans commentaire. Un parti politique capable, à lui, tout seul, de rassembler 30% de l'électorat pourrait représenter une force attractive telle, que la prise de pouvoir deviendrait, pour lui, chose possible. Aussi comprend-on que ce chiffre soit de plus en plus souvent cité par Mégret - et jamais commenté par ceux qui le reproduisent. Il tend à rendre crédible son ambition, il peut galvaniser des indécis, adeptes du "vote utile". Pour connaître la proportion d'électeurs qui ont voté au moins une fois pour le Front national, depuis sa création en 1972, la seule méthode consiste à interroger un échantillon représentatif de l'ensemble du corps électoral actuel. Alors de deux choses l'une, ou bien ce sondage existe et l'on aimerait bien en savoir un peu plus sur les conditions de sa réalisation (quand, comment, par qui?), sur les autres questions qu'il comportait, sur l'analyse qui en fut faite. Par exemple a-t-on posé le même type de question pour les autres partis? Qu'est-ce que cela donnait pour le PS, le RPR, voire pour Lutte Ouvrière ou la Ligue communiste révolutionnaire! La comparaison pourrait nous éclairer sur le degré de signification politique d'un tel pourcentage. Ou bien le sondage n'existe pas et le "chiffre slogan" doit être dénoncé chaque fois qu'il est cité. Avis aux lecteurs de Pénombre. Si vous avez vu passer ce sondage, écrivez-nous. Merci par avance. Nous allons aussi chercher de notre côté.
Pierre Tournier
Les salles d'attentes des hôpitaux, quand on va y visiter un être cher, n'ont rien d'enthousiasmant. Y traînent parfois parmi les brochures éculées des publications dont la lecture distrait à peine de l'angoisse du diagnostic. Ainsi la Ligue nationale contre le cancer a édité (en 1997) une plaquette d'information "Le tabac: mieux connaître ses dangers". On y lit ceci: "L'alcool est souvent associé au tabac: les risques alors ne s'additionnent pas mais ils se multiplient." Comme les chiffres correspondants ne sont pas donnés, on ne peut reconstituer en quoi consistent cette addition et cette multiplication. Naïvement, avec des chiffres quelconques, pour illustrer: si on avait un risque de 20% d'avoir une maladie grave en fumant et de 20% en buvant de l'alcool exagérément, la phrase ci-dessus voudrait dire qu'on n'a pas: 20% + 20% = 40% de chances d'avoir une maladie, mais seulement: 20/100 x 20/100 = 4%. C'est réconfortant; mais on reste quand même dubitatif. Et l'on attend.
Mélanie Leclair
En réponse à ce texte, lire Boire ou fumer, faut-il chosir?
Les Echos du 30 juin 1999 titre: "Le poids de l'industrie dans le PIB réduit de moitié en 98". Fichtre! Cela peut signifier que, le PIB étant resté à peu près le même, la moitié de l'industrie a été détruite: vous voyez le désastre. Ou alors, que, l'industrie étant inchangée, le PIB (c'est-à-dire la production nationale tout entière) a doublé: ça se saurait. C'est peut-être, un peu des deux: alors que l'économie, en général se développait considérablement, pour l'industrie, c'est une régression sans précédent. En fait, vous l'avez compris, le titreur des Echos, lui, ne comprend rien. Il confond une chose avec sa variation. Il ne s'agit pas du poids de l'industrie dans le PIB, mais du poids de la croissance de l'industrie dans la croissance de l'ensemble du PIB. Ouf! On l'a échappé belle. N'empêche. Si une année les prix augmentent de 1% et que votre revenu augmente de 2%, si l'on vient vous dire que votre pouvoir d'achat a doublé, vous serez surpris. Et vous prendrez celui qui l'affirme pour un fieffé menteur ou pour un hurluberlu. Mais, on sait ce que valent les titres de journaux. Même de journaux sérieux, comme on croit l'être Les Echos. Donc, lisons plutôt l'article. Las! c'est à peine mieux. Nous nous sommes reportés à la source de l'article (INSEE-Première n° 661, juin 1999). Il y a quelques informations en plus, mais ce qui est rapporté par le journal est conforme. Raisonnons donc seulement sur les éléments figurant dans l'article et livrons-nous à un petit exercice d'arithmétique critique à la portée de tout citoyen ayant acquis la maîtrise de la règle de trois. Lecteur: si l'exercice qui va suivre te rebute, saute à la fin de cet article.
Passons L'argument repose sur le constat que la croissance de l'industrie a pesé pour un cinquième, en 1998, dans la croissance du PIB, tandis qu'elle en avait représenté deux cinquièmes l'année précédente. (C'est ce passage de 2/5 à 1/5 qui est censé motiver le titre). Nous lisons que l'industrie a crû de 4,5% et que ceci représente 0,7% dans un accroissement du PIB égal à 3,2%. En effet, 0,7 est à peu près le cinquième de 3,2. Si 4,5% de l'industrie fait le cinquième de l'accroissement total, c'est que l'industrie pèse dans le total (dans le PIB) pour 0,7/4,5 = 0,15, soit 15%. (La publication de l'INSEE confirme que tel est bien le poids de l'industrie dans le PIB.) Au passage, nous calculons par différence la croissance de la partie non-industrielle de l'économie (qui représente donc 85% de l'ensemble): si un total de 100 F augmente de 3,20 F lorsqu'une partie qui fait 15 F augmente de 4,5% c'est-à-dire de 0,70 F, l'autre partie augmente de 3,2 - 0,7 = 2,50 F. Et 2,5 rapporté à 85 fait 2,9%. Première constatation, toujours au passage: là où le reste de l'économie croissait de seulement 2,9%, l'industrie faisait 4,5% ce qui n'est pas du tout la débâcle annoncée. Poursuivons nos petits calculs. L'année précédente, l'article nous indique que l'industrie avait crû de 5,2% (ce qui était en effet un peu mieux que les 4,5 qui ont suivi) et que ceci représentait les 2/5 de la croissance du PIB. Comme les variations restent malgré tout modérées et de même ordre, le poids de l'industrie dans l'ensemble devait déjà être de 15%. Or, 15% de 5, 2 fait 0,8; et ce 0,8 était les 2/5 de la croissance du PIB: celle-ci devait donc être égale aux 5/2 de 0,8 soit à peu près 2%. D'où nous pouvons déduire, comme précédemment, la croissance de la partie non-industrielle: (2 - 0,8)/85 = 1,4%. Si vous voulez, remettons en ordre ces résultats dans le petit tableau ci-contre. De tels chiffres, que peut-on dire? Que l'industrie augmente, certes, un peu moins qu'avant, mais qu'elle augmente encore plus que le reste de l'économie. Que si sa part est moindre dans l'augmentation d'ensemble, c'est surtout parce que le reste a crû plus vite. Or, le "chapeau" de l'article des Echos en cause déclare tout de go "l'industrie a perdu son rôle de moteur de la croissance." Qu'est-ce à dire? Quand on représente les 2/5 de l'accroissement, on est moteur; quand on n'en représente que 1/5, on ne l'est plus: où est la limite pour être le moteur? Quand on croît de 5,2, on est moteur; quand on ne croît que de 4,5 on ne l'est plus; même question: où est la limite? Allons plus loin: supposons que le reste de l'économie n'augmente pas du tout (tandis que l'industrie augmenterait toujours de 4,5%). La croissance serait de 0,7% imputable en totalité à l'industrie. Que voilà pas un super moteur! Un moteur qui avance en laissant le châssis et la carrosserie sur place Mieux: si le reste reculait de 0,5%; l'ensemble ne progresserait plus que de 0,7 - 0,85 x 0,5 = 0,28%, dont l'industrie représenterait alors 250%. Moteur, vous avez dit moteur? Il me semble qu'un précédent article de Pénombre dénonçait déjà le non-sens de ce rôle de moteur attribué sur une comparaison de pourcentages. Au total, un titre absurde, un chapeau inepte, pour interpréter sans jugement des chiffres sans doute corrects. L'article contenait tout ce qu'il fallait pour démontrer sa propre inanité. Mais sans doute peu de lecteurs auront le réflexe de se livrer au petit calcul critique qu'on vient de faire. Dans ces conditions, on peut se demander comment fonctionne la chaîne qui va du statisticien de l'INSEE au titreur des Echos¸ en passant par le journaliste. Fin de l'article.
Mélanie Leclair
Le Figaro Economie du 13 août 1999 relate que l'éclipse a fait bondir l'audimat. De 10 h 19 à 12 h 58, TF1 a eu 5,206 410 millions de téléspectateurs et France 2 en a eu 3,418 450 millions de 10 h 24 à 12 h 56. Passons sur la bizarrerie d'écrire 5,206 410 millions alors qu'il est plus simple d'écrire 5'206'410. Passons encore sur l'étrangeté des plages horaires où l'observation a été faite. Inquiétons-nous plutôt de savoir s'il s'agit de 5 millions et quelques de téléspectateurs qui ont suivi les émissions de bout en bout durant cette période, tandis que d'autres moins assidus, en nombre variable et inconnu, s'y sont ajoutés au fil du temps, ce qui fait peut-être alors beaucoup plus de 5 millions au total! Ou, s'agit-il de 5 millions et quelques qui ont été devant leur poste durant quelques secondes pour certains, plus longtemps, jusqu'à deux heures et trente-neuf minutes pour d'autres (sans qu'on sache du reste si, à cette heure limite de 12 h 58, les restants ont tous décroché ensemble). Bref, nous ne savons pas ce qui a été compté. On ne sait pas ce que veulent dire les chiffres rapportés. Emerveillons-nous aussi de la précision. L'estimation est donnée à dix personnes près; soit, avec six chiffres significatifs exacts. On nous aurait dit 5,2 millions pour TF1 et 3,4 pour France 2, nous aurions été tout aussi édifiés. Or, le journaliste, un certain P.G., a tenu à nous faire partager sa scrupuleuse admiration pour la précision desdites estimations. Comme il ne cite pas ses sources, nous ne pouvons hélas nous renseigner sur les méthodes qui ont permis cette performance.
Mélanie Leclair |