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CHOSES VUES, CHOSES LUES, MISES A NU Janvier 2001 - numéro 24 [Table des matières]
Différence technique ou artifice politique? La guerre du pouvoir dachat, comme titre le Figaro-économie (27 septembre 2000) ne fera pas de morts, mais elle emplira les journaux autant quune vraie. Cet été, le Président de la République a pensé avisé de sinquiéter de la stagnation du pouvoir dachat des salaires. Le chef du Gouvernement rétorque, deux mois plus tard, en invoquant des chiffres différents. Quon soit Premier ministre ou premier opposant, la tentation a toujours été de choisir dans le magasin de la statistique les projectiles appropriés à ce quon veut démontrer. Lapproche dune période électorale relance les enjeux. Voilà donc les citoyens pris à témoins à coup de chiffres. Certains journalistes sappliquent à mettre un peu dordre dans lentrecroisement des arguments chiffrés. On doit les en complimenter, les y encourager. Cest notamment ce que fait le Figaro, ici cité ; cest ce que fait aussi La Tribune, dont est extrait le graphique ci-contre (27 septembre 2000). Donnons-lui acte de son souci de pédagogie. Peut-on pourtant marquer une insatisfaction ? Le journaliste de La Tribune conclut son article en notant : Deux techniques statistiques. Deux visions opposées du sort des salariés. Je naime pas beaucoup cette façon de dire quil y aurait deux procédés - deux techniques - pour mesurer la même chose. La statistique a lair bonne fille, qui se prêterait à ce que vous souhaitez par simple substitution dun procédé à un autre. Ce ne sont pas deux manières de mesurer la même chose ; car cest de deux choses différentes que lon parle. Il invoque trois différences entre les chiffres allégués par les protagonistes. Il aurait pu faire léconomie des deux premières ; cest bien assez compliqué sans ça. Lune est que lon rapporte dans un cas les salaires à lindice des prix hors tabac et, dans lautre cas, à lindice y compris tabac. Ces deux indices évoluent presque pareil et ça ne change rien. Lautre différence, à peine plus sensible, est complexe à comprendre : dans un cas on parle de lévolution du salaire pour un même travail, alors que dans lautre cas (le chiffre invoqué par M. Jospin), il sagit de lévolution de la moyenne des salaires. Or, les salariés ne sont pas tout à fait les mêmes au fil du temps et la qualification moyenne saccroît. Cette différence, non pas technique mais conceptuelle, joue peu sur une durée courte et le nud de la dispute nétait pas là.
Un peu court, jeune homme Cest la troisième raison citée par le journaliste qui explique le plus lécart ; et là son explication, tout en étant juste, est un peu courte. Lune des séries invoquées par nos éminents polémistes observe la variation en un trimestre (de mars à juin 2000) tandis que lautre compare la moyenne prévue pour lannée 2000 à la moyenne de lannée antérieure. Dans un cas, on compare un mois à un autre mois ; dans lautre cas, on compare un bloc de 12 mois à un bloc de 12 autres mois : ça na aucune raison de donner le même chiffre et ce nest pas parce que le statisticien change de méthode, mais parce quon ne se situe pas de la même façon dans le temps. La seconde optique donne une vision plus régulière, quoique moins actuelle. La première est plus versatile. J.-P. Haug, dans un précédent numéro de Pénombre, disait de façon imagée que lorsque la marée monte on peut toujours trouver un revers de vague où leau descend. Cest ce qui sest passé ici : le pouvoir dachat a stagné au deuxième trimestre. Ce qui ne veut pas dire quil soit stagnant, ni avant ni ensuite. Or, cest là que La Tribune simplifie un peu trop. Son premier graphique donne correctement lévolution entre moyennes annuelles successives. Le second est trompeur ! Il montre les deuxièmes trimestres de chaque année, mais occulte les trois autres. Il faudrait donner la série complète. On verrait alors quelle est plus ou moins chahutée et que donc monter en épingle un trimestre plutôt quun autre na pas grande signification.
René Padieu |