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A L'AVENANT

Avril 2001 - numéro 25 [Table des matières]

 

Fragiles élections

Élections municipales, élections législatives ou présidentielles, les esprits partisans sont largement persuadés du poids de leur vote. Bien souvent la décision ne dépend pas d’eux, mais du marais des indifférents. Voilà deux siècles Condorcet soumettait à qui voulait bien le lire nombre de réflexions " sur la forme des élections ". Il en tirait entre autres ces paradoxes : " Or il est possible s’il y a seulement trois candidats que l’un d’entre eux ait plus de voix qu’aucun des deux autres, et que cependant l’un de ces derniers, celui-là même qui a eu le moins de voix soit réellement regardé par la pluralité comme supérieur à chacun de ces concurrents ", et plus loin : " il est possible qu’un homme qui serait déclaré indigne par la pluralité tandis qu’un autre en serait déclaré digne soit cependant celui en faveur duquel le vœu de la pluralité existait. "

La démonstration, assez laborieuse, peut s’illustrer par des exemples.

Soient trois candidats possibles A, B et C et 60 électeurs dont les ordres réels de préférence sont les suivants :

ABC 16 électeurs, ACB 8, BAC 12, BCA 4, CAB 2, CBA 18.

Les vœux de la pluralité sont donc :

– premier A 24 voix (ABC+ACB),

– deuxième C 20 voix,

– troisième B 16 voix.

Si seulement deux candidats peuvent se présenter on aura les résultats suivants :

– duel entre A et B :

B élu avec 34 voix (BAC+BCA+CBA);

– duel entre B et C :

B élu avec 32 voix (ABC+BAC+BCA);

– duel entre A et C :

A élu avec 36 voix (ABC+ACB+BAC).

Quoi qu’il soit le plus inattendu, B serait élu dès lors qu’il participerait à un duel. Le pauvre C, candidat fort honnête disparaît dans tous les cas, soit devant A plus conforme au choix majoritaire, soit devant B pourtant moins populaire. Le retrait de C, conscient de son échec inévitable, favorisera B, le plus éloigné du choix " naturel ". Le retrait de A, pensant par exemple favoriser C, entraînerait aussi la victoire de B.

 

Duels

Avec seulement deux candidats on peut aussi arriver au choix du plus inattendu.

Soient A et B ces deux candidats, et 40 électeurs dont les préférences sont :

– groupe 1 : A et surtout pas B 6 électeurs ;

– groupe 2 : B et surtout pas A 11 électeurs ;

– groupe 3 : A ou B avec préférence pour A 10 électeurs ;

– groupe 4 : A ou B avec préférence pour B 3 électeurs ;

– groupe 5 : ni A ni B 10 électeurs.

Le rejet de A (groupes 2 et 5, soient 21 électeurs sur 40) est manifeste, plus que celui de B (groupes 1 et 5, soient 16 électeurs). La victoire de A n’est cependant nullement exclue, et même assez probable : le résultat sera fonction de l’attitude du groupe 5, celui des plus critiques.

L’abstention de ce groupe donne la victoire de A (groupes 1 et 3 soit 16 voix sur 30), son partage en 2 parties égales donne aussi la victoire de A (groupes 1 et 3 et la moitié du groupe 5 soit 21 voix sur 40), seul un rejet plus affirmé de A que de B dans ce groupe donnerait la victoire à B.

Ainsi en va-t-il parfois des duels qu’arbitrent plus ou moins les urnes, et chacun trouvera des exemples d’élus surprenants, mais on peut toujours revenir aux conclusions de Condorcet 1: " il faut... chercher les moyens d’enchaîner à leur devoir des hommes que le hasard, sous l’apparence d’un choix libre, a revêtu du pouvoir. " (idem)

 

François Pradel de Lamaze

 

 

1 Essai sur la constitution et la composition des assemblées provinciales, par J.A.N. de Caritat, marquis de Condorcet, 1788.