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A LA VÔTRE Octobre 2001 - numéro 27 [Table des matières]
Du chanvre à la une Si le lecteur pénombrien feuillette la presse avec un regard qui se veut critique lorsquil estime bien connaître un sujet, son il se fait plus sévère lorsque linformation porte sur un travail auquel il a lui-même participé. Sil a lui même rédigé le communiqué de presse, lui est de surcroît offerte loccasion privilégiée dobserver de lintérieur le travail des journalistes. Cest ce qui nous a été donné lors de la publication du rapport de lenquête sur la santé et les consommations lors de l'appel et de préparation à la défense (ESCAPAD 2000), enquête auto-administrée proposée par lObservatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) aux quelques 14 000 jeunes présents lors dune de ces journées remplaçant le Service national, dont la presse a repris les principales données portant sur le cannabis et les polyconsommations. Il nous a semblé utile de refaire le chemin parcouru entre le communiqué de presse et les différents articles. Les termes du communiqué sur lesquels ont porté les articles étaient les suivants : " À 17 ans, 41 % des filles et 50 % des garçons ont expérimenté le cannabis, cette proportion atteint 60 % pour les garçons de 19 ans. [ ] " À 17 ans, 2,6 % des filles et 8 % des garçons (16 % à 19 ans) ont une consommation intensive de cannabis (20 fois et + au cours du mois). La moitié de ces consommations cumulent des contextes dusage pouvant être préoccupants : fréquemment seul, en début de journée [ ] " À 19 ans, pour les garçons, lexpérimentation ne dépasse 5 % que pour 4 produits : les champignons hallucinogènes (9 %), le poppers (8 %), lecstasy (7 %) et les produits à inhaler (6 %). [ ] " 98 % des adolescents déclarant avoir déjà consommé du cannabis ont aussi expérimenté à la fois le tabac et lalcool."
fumeux Sur ces bases, dans le Figaro du 5 février, Françoise Lemoine titre " un jeune sur deux a déjà fumé ". Quest-ce quun jeune ? Sagissant ici dindividus âgés de 17 à 19 ans, le lecteur habitué aux enquêtes en milieu scolaire qui portent plutôt sur des 14-19 ans pourra être surpris et prêter lampleur de cette diffusion à ce qui nest quun effet âge (les plus âgés ont mécaniquement plus de chance davoir déjà pris un produit que les plus jeunes). Lapproximation du titre est excusable : lidée est là, pas trop éloignée du communiqué. Toutefois, le reste de larticle laisse à désirer par son manque de rigueur. " 7 % des jeunes gens interrogés concèdent un usage decstasy [mais] ce sont les champignons hallucinogènes (9 %) suivis du poppers (8 %) qui tiennent en fait la vedette. " Ces chiffres ne concernent en fait que les garçons de 19 ans. À titre de comparaison, si lon retourne au rapport, les prévalences des filles de 17 ans sont respectivement 1,4 %, 1,6 % et 1,3 % pour ces trois produits, valeurs qui relativisent nettement le niveau annoncé par le Figaro.
sulfureux Puis lhistoire semballe : " 98 % des adolescents consommateurs [de cannabis] avouent mélanger volontiers ces trois produits, les ajoutant parfois à dautres substances en de sulfureux cocktails " affirme avec véhémence Françoise Lemoine. Le lecteur appréciera deux choses : dune part la métaphore alchimique, sans doute en écho à la phrase du communiqué qui ne fait que souligner la rareté davoir essayé le cannabis sans avoir jamais consommé ni alcool ni tabac par ailleurs et, dautre part, la confusion délibérée entre lexpérimentation (sur laquelle porte la question) et la consommation, qui suggère pour sa part une répétition, accentuée par lusage de ladjectif volontiers qui impute à lexpérimentateur un plaisir et une envie absents du questionnement. Marc Payet, dans le Parisien du 6 février, titre pour sa part : " un ado sur six fume du cannabis " à partir de linformation selon laquelle les garçons de 19 ans en ont une consommation qualifiée dintensive. Cette erreur, du même ordre que celle relevée dans larticle du Figaro prend, dès lors quelle figure dans le titre, une dimension toute autre. Les autres quotidiens que nous avons pu lire (LHumanité, La Croix, France-Soir) titrent tous avec justesse " un garçon de 19 ans sur six consomme du cannabis ", avant de préciser dans larticle quil sagit là dune fréquence de consommation dau moins 20 fois par mois. Saluons enfin la qualité de larticle de Matthieu Ecoiffier dans Libération du 6 février. Pour preuve cette précaution, trop rare dans la presse : " expérimenter ne veut pas dire tomber dans la répétition ". Paul Benkimoun signe également un article relatant fidèlement les principales conclusions de lenquête concernant ce produit, dans Le Monde du 15 février. De là à dire quun peu de recul ne nuit pas à linformation, lorsque celle-ci nest pas particulièrement urgente
François Beck et Stéphane Legleye |