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ET PUIS QUOI Octobre 2001 - numéro 27 [Table des matières] Le rose et le noir Pénombre avait jadis épinglé Le Monde pour présenter souvent les faits comme des révélations, dont le peuple recevait les lumières grâce à la perspicacité de ses journalistes. Fidèle à cette posture, sa une du 17 mai, sous le titre " Ces entreprises qui embauchent" rapporte avoir fait une enquête auprès de quarante grandes sociétés, dont il dévoile les prévisions. Il sinscrit ainsi en faux contre la sinistrose entretenue par ses confrères (et par lui-même !) qui, montant en épingle, quelques plans sociaux massifs (Danone, Marks & Spencer...) nous avaient alarmés. À tort, explique le journal, qui rappelle que léconomie française avait créé plus dun demi-million demplois lan dernier et nous met en garde contre la fausse perspective que ces licenciements médiatisés créait. En bref, lorsque presque tout est rose, ne nous laissons pas abuser par un peu de noir. Jadis, au plus fort de la crise, la télévision nous avait montré tel ministre aller complimenter telle petite entreprise qui avait créé quelques dizaines demplois. On espérait que les médias, montrant dans tout ce noir un peu de rose, nous rendraient plus optimistes. Lorsquon ne nous parle pas des meurtriers et des catastrophes, on nous parle dévénements heureux : mariages princiers et coupe du monde. On dit que la nervosité des marchés financiers leur fait surinterpréter les signaux de la conjoncture. Faut-il de même dire que le marché médiatique surinterprète les événements, face sombre ou face claire ! Pénombre sintéresse au débat public : la part quy tiennent les médias est massive. Quest-ce donc que le débat public ? Où a-t-il lieu, si ce nest dans les articles des journaux, les tribunes quils offrent aux experts et aux politiques ou les courriers de lecteurs quils publient, et sur les plateaux de télévision ? Le choix des faits que lon y rapporte et des opinions quon y met en scène dicte la teneur du débat public. La démocratie sy trouve livrée aux vents de lémotion. Les statisticiens se veulent observateurs des faits, scientifiques, impartiaux et impavides. Ils livrent à ce débat public des chiffres censés y apporter lobjectivité. Ne voit-on pas pour autant les médias convoquer ensemble ou en concurrence la raison supposée des nombres et la déraison révérée des hommes ? Ces derniers ne se font pas faute dinvoquer eux aussi les nombres, mais comme projectiles pour la défense de leurs positions. Pénombre peut-elle alors raisonner le débat public sans faire le procès de la presse ? Mais, peut-on instruire celui-ci sans que la presse y présente sa défense ! Ou, fera-t-elle défaut ? On ne lit jamais, dans Pénombre ou ailleurs, ce que la presse a à dire de ce que Pénombre dit delle. Faut-il du reste quil y ait procès ? La presse ne peut-elle participer au débat public autrement quen lorganisant : avoir une réflexion, publique, et un dialogue sur son rôle et sa posture ?
Jean-Pierre Haug |