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A VOTRE SANTE Avril 2002- numéro 29 [Table des matières]
Du côté obscure de la farce Il faut accepter la critique : notre propos est en effet un peu sibyllin pour qui connaît la difficulté détablir les relations de cause à effet entre consommations alimentaires, modes de vie et mortalité. Précisons toutefois lintention des auteurs. Il sagissait dattirer lattention du lecteur sur une étude qui pourrait sembler marginale au sein dun organisme dont la mission est dobserver la consommation de drogues et les toxicomanies : le public des études est majoritairement jeune, et consommateur de substances illicites. Or cette étude se situe aux antipodes de cet archétype : elle concerne exclusivement les produits licites et les individus de plus de 60 ans. Cest pourquoi il nous avait semblé important den souligner lutilité par quelques données de cadrage.
Précision nest pas exactitude La rondeur du chiffre de 100 000 décès imputables chaque année à lalcool et au tabac nous a séduits pour cela : en mettant en évidence son imprécision, les cinq zéros en font typiquement un ordre de grandeur, ce pour quoi il a été utilisé. Un chiffrage plus précis pourrait passer pour beaucoup plus suspect. Bref, il sagissait dune utilisation plutôt rhétorique et à visée introductive. La place manquant, et ceci ne constituant pas le point central de létude, les références ont été omises : le chiffre de 100 000 provient de larticle dAlfred Nizard " Les effets sur la mortalité de quelques maux contemporains : sida, hépatite, alcool et tabac ", Population, n° 3, 2000, et concerne lannée 1997. Cependant, il serait temps de lever lobscurité sur les procédures de calcul et de parvenir à un consensus pour que les discussions critiques récurrentes sur ces dénombrements ne tournent pas à lobsession statisticienne ou à la farce macabre. Ce travail fait dailleurs partie des objectifs de lOFDT. Notons toutefois que si ce chiffre de 100 000 décès circule depuis longtemps dans la petite communauté des épidémiologistes et des chercheurs en santé publique, sa longévité exceptionnelle nôte pas tout crédit aux producteurs de chiffres ni aux décideurs politiques. Peut-on le traiter comme une évaluation des politiques de prévention de la consommation dalcool et de tabac ? Son immuabilité remet-elle en cause les travaux des chercheurs qui mettent en garde contre les dangers de ces produits ? Comme le remarque René Padieu, il est plutôt probable quil faille y lire un effet de la manifestation tardive des maladies, et sans doute également de la lenteur des évolutions des modes de vie. En tout cas, la permanence de ce chiffre nest pas à elle seule une démonstration de linutilité de la recherche et des mesures politiques dans le domaine de la santé publique.
Mourir de naturelle nest pas scientifique Peut-on alors parler de " décès prématuré " pour qualifier les décès liés à la consommation dalcool et de tabac ? On meurt certes toujours, et toujours de quelque chose (on est même en droit de se demander si la société moderne nous laisse encore mourir de mort naturelle : est-ce une des causes de décès enregistrable par lINSERM ?). Alfred Nizard ne parle pas de " décès prématurés ". Une définition statistique serait de toute façon discutable, tandis que parler de mort prématurée pour un individu isolé ne peut que plonger dans des abîmes de perplexité qui nont rien à voir avec la statistique. Toutefois, lidée selon laquelle les fumeurs et les buveurs meurent en moyenne plus tôt que les non fumeurs et non buveurs (donc " prématurément " en ce sens) nest pas absurde ou obscure, tant quon ne cherche pas à quantifier cette prématurité. Cest pourtant ce que se sont aventurés à faire des chercheurs anglais dans une étude récente citée dans un magazine grand public, Top Santé : selon eux, la réduction de lespérance de vie due à la consommation dune cigarette sélèverait à 11 minutes Il deviendrait donc possible dalléguer sans rire, chiffre à lappui, des excuses comme " Je ne pourrai malheureusement pas être là au congrès lan prochain, jai fumé toute mon espérance de vie ces dernières années. ". Quelle quen soit lobscurité, la force du chiffre peut ainsi aisément se transformer en farce.
Paule Heupéget |