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ARGENT Avril 2002- numéro 29 [Table des matières]
Flambée des prix? " Ce quon ne vous a pas encore dit sur linflation ", titre une chronique du Figaro-Magazine (3 novembre 2001). Mais ce nest pas encore celle-ci qui nous dira tout. Lisons : " Le passage à leuro pousse à laugmentation des prix. [ ] la hausse des prix, cest un peu comme le décompte des manifestants : au moins 10 % selon les associations de consommateurs, à peine plus de 1 % selon Bercy. " Et le journal conclut sans ambages : " la vérité se situant probablement entre les deux ", se référant à un relevé fait dans les hypermarchés : + 4,6 % sur 150 000 produits (sans quon nous dise si ce sont là tous les produits vendus ou seulement ceux qui ont augmenté), et même 5,2 % pour les 1 300 dentre eux les plus vendus (sans quon sache sil sagit du nombre dunités vendues ou du chiffre daffaires par catégorie darticle). Une première obscurité vient de ce quon ne précise pas si ces hausses résultent bien du passage à leuro, comme il est suggéré, ou bien sil sagit de lévolution observée entre deux dates (quon ne nous précise pas plus). En effet, on peut penser que, euro ou pas, les prix auraient augmenté de toute façon et la question qui semble posée est : de combien ont-ils monté en plus à cause de leuro ? Une autre est quil nest pas sûr quon compare tout ce qui doit lêtre. De quels produits les associations ont-elles relevé les prix ? Les commerces autres que les supermarchés ont-ils augmenté pareillement ? Et quen est-il des produits qui ne sont pas vendus dans les hyper ni dans les magasins plus modestes ? Car " les prix ", ce sont aussi ceux de lélectricité, des médicaments, des loyers, des voitures, des spectacles, etc.
Largent des lessiveuses nest pas toujours sale La suite de larticle est plus intéressante. Elle suggère un autre phénomène quun simple dérapage subreptice des étiquettes. Lauteur note que les consommateurs consomment de plus en plus, quand bien même les prix augmentent. Il suggère que cest même cet accroissement de la demande qui provoque la hausse des prix. Et il en donne une raison : les particuliers auraient 150 milliards de francs dans leur bas de laine et, pressés de se débarrasser de billets qui nauront bientôt plus cours, ils les convertissent en achats. Dune certaine façon, cest bien là en effet le passage à leuro qui provoquerait la hausse des prix, mais par un mécanisme tout différent de ce quon avait dabord pensé : non pas parce quon change dunité monétaire, mais parce quon renouvelle le stock de billets. Les plus âgés dentre nous se souviennent du retrait des billets de 5 000 francs (anciens) il y a 50 ans : le franc restait le même et les autres billets étaient conservés. Léchange des billets de 5 000 en avait fait sortir bon nombre stockés " dans des lessiveuses ". Sil en est ainsi le journaliste le suggère aussi -, passée cette envolée temporaire, dans trois mois, les choses redeviendront normales. Les consommateurs nauront plus la même fringale dachats et les commerçants seront peut-être même conduits à baisser leurs prix, à les ramener à peu près au niveau antérieur pour continuer à trouver des clients Autrement dit, sil y a inflation, elle sera passagère et une déflation équivalente pourrait sensuivre.
Ce que vous avez toujours voulu savoir sur linflation Mais, bien quon soit censé nous dire " tout " sur linflation, pas plus dans cet article que dans ceux auxquels il prétend remédier nest évoqué ce quest linflation. Les grandes inflations historiques ont été dues à lémission massive de moyens de paiement au delà de ce quil pouvait y avoir à acheter, ce quon appelait familièrement " faire marcher la planche à billets ". Les détenteurs de cet argent excédentaire faisaient de la surenchère pour acquérir ce quil était possible dacheter : les prix augmentaient proportionnellement. Le mot " inflation " désignait initialement le gonflement de la quantité dargent ; la hausse des prix était une conséquence de linflation, mais nétait pas linflation elle-même. Mais il est difficile de vérifier que la quantité dargent en circulation est celle exactement dont on a besoin. De sorte quon a en quelque sorte retourné le problème : on a pris laugmentation des prix comme indicateur quil y avait inflation. Comme indicateur et donc comme mesure. Et, ceci, dautant plus que linflation était faible : quand on injecte brutalement une grosse masse de billets ou autres moyens de paiement, on peut à peu près les repérer ; mais quand léconomie évolue de façon progressive et que lémission de monnaie se fait en continu et avec une faible ampleur, on ne sait plus distinguer ce qui est émis " en trop ". Alors, lindice des prix devient le seul moyen de mesurer linflation. Au point quon finit par définir celle-ci par la hausse des prix. Mais cet historique de la notion dinflation ne change rien à la réalité des phénomènes. Si un afflux de moyens de paiement survient les prix montent. Et, que ces billets qui se présentent en abondance proviennent des presses de la Banque de France ou des bas de laine des particuliers, leffet est le même. Sauf que, lorsque la Banque de France émet des billets, il est rare quelle les retire de la circulation trois mois plus tard ; tandis quon peut escompter que les particuliers reconstitueront leur petit trésor plus ou moins vite en euros. Voilà à peu près ce que notre journaliste aurait dû expliquer sil avait voulu tout nous dire.
Jean-Pierre Haug, économiste |