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Avril 2003 numéro 33[Table des matières]
Durée et dureté de la vie
La vie humaine sallonge. En France, lespérance de vie, qui était denviron 25 ans au milieu du XVIIIe siècle, de 45 ans au début du XXe, de 65 ans en 1950, nest pas loin des 80 ans à lheure actuelle et cela semble continuer. Cette espérance de vie est une durée moyenne et non une durée qui sappliquerait au plus grand nombre. La faible valeur du XVIIIe siècle résultait dune très forte mortalité des enfants, dont la moitié natteignait pas 10 ans. Une fois passé ce cap, beaucoup de gens parvenaient à un âge avancé et certains même pouvaient devenir centenaires, comme par exemple le philosophe Fontenelle (1657-1757). Doù la question : lallongement de lespérance de vie est-elle due simplement au fait que de plus en plus dindividus échappent à une mort prématurée, autrement dit vivent la durée pour laquelle ils ont été programmés, ou, aussi, au fait que cette durée programmée sallonge ? Supposons une population où le schéma de mortalité serait le suivant : un tiers des individus décèdent à la naissance, un tiers à 40 ans et le tiers restant à 80 ans. Lespérance de vie y serait donc de 40 ans ( (0 + 40 + 80)/3 ). Supposons maintenant que, grâce au progrès médical, entre autres, on arrive à éviter la mortalité à la naissance et celle à 40 ans et que tout le monde décède à 80 ans. Lespérance de vie serait alors de 80 ans. Le doublement obtenu dans ce cas ne serait dû en rien à un allongement de la longévité de lespèce, mais uniquement à lévitement de la mortalité prématurée. Prenons un exemple dans un autre domaine, celui des pneus de voiture. La durée dun pneu, en kilomètres parcourus, dépend, comme chez les humains de sa durée programmée, autrement dit de sa robustesse, et des morts prématurées, causées par les conduites à risque et les accidents. La part de ces morts prématurées, qui nest pas essentielle ici, a sûrement peu changé dune génération de pneus à lautre. Par contre la robustesse, oui. Je sais que si jéquipe ma voiture de pneus neufs, je peux compter les utiliser pour un kilométrage double de celui dil y a quelques dizaines dannées. Laugmentation de la durée moyenne des pneus est due principalement, sinon exclusivement à laugmentation de la longévité du produit. Cette longévité augmente-telle dans lespèce humaine ? Les enfants qui naissent aujourdhui sont-ils programmés pour vivre plus longtemps que ceux dhier ? Pour le savoir, il paraît logique de regarder lévolution de la vie maximale. On peut penser que si celle-ci sallonge, cela traduit un allongement de la vie de tous, cest-à-dire, de lespèce. Mais ce nest pas simple, ce qui est une façon de dire que cest pratiquement impossible. Pour deux raisons. Le nombre dindividus très âgés, les plus de 110 ans par exemple, dépend de la taille de la population. On a donc plus de chances den trouver aujourdhui, où les humains sont 6 milliards quau début du XIXe siècle où ils nétaient quun milliard. La comparaison est biaisée. Lautre problème est un problème dobservation. Lâge atteint par Jeanne Calment, la « doyenne de lhumanité » morte en 1997 à 122 ans et 5 mois passés, nest pas le record, mais le record attesté, car on a pu la suivre de sa naissance (on possède son acte de naissance) jusquà sa mort. Rien nempêche quil y ait eu dautres personnes aussi âgées, voire plus. Ainsi on fait état dun soldat de Napoléon, Jean-Baptiste Savin, qui serait né en France en 1768, et mort en 1894 à Saratov en Russie, où il était resté après avoir été fait prisonnier par les Russes, soit à 126 ans en différence de millésimes(1). Mais ce record, qui dépasse celui de Jeanne Calment, nest pas homologué. En résumé on peut dire que laugmentation de la vie moyenne depuis le temps où celle-ci nétait que de 25 ans est due principalement à la diminution des morts prématurées. Elle peut être due aussi, à une durabilité plus grande de lespèce, mais rien ne permet de laffirmer pour linstant. Qui vivra, verra !
Alfred Dittgen
(1) Le Monde, 10/19/1998, « Vague francophile sur la Volga » |