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Avril 2003 numéro 33[Table des matières]
Pourcentages en tous genres
UN RAPPORT de deux éminents médecins estime quil y a trop de petits hôpitaux. Le journaliste qui en rend compte (Le Point du 6 décembre, p. 80) ne relate aucun argument de commodité (proximité) ni de qualité médicale. On ne sait donc si ces médecins sen sont préoccupés. Tout ce quon nous en dit est : 1) que la densité géographique est chez nous supérieure à ce quelle est à létranger (et alors ? quest-ce que ça prouve ?) et 2) que cela résulte dune « politique médiévale » des élus locaux (ce qui est une opinion plus quun critère). On nous dit encore que 75 % des hôpitaux en service depuis 20 à 30 ans nont pas été réhabilités : comme on ne sait ni en quoi consiste une réhabilitation, ni ce qui la rend nécessaire, ni si un tel délai est anormal, ce pourcentage de 75 ne mesure rien de tangible. Enfin, pour enfoncer le clou, il paraît que le ministre de la Santé parle de 68,6 % dhôpitaux vétustes et sous-équipés. Lapparente précision de ce dernier pourcentage donne le sentiment quon mesure avec rigueur une réalité objectivement définie. Il nen est rien ! La vétusté comme le sous-équipement (par rapport à quoi ?) sont des notions subjectives et vagues. On peut tenter de les objectiver à laide de critères matériels (quantifiés ou non). Mais le choix des critères à retenir pour ce faire, comme le choix des seuils qui coteront la vétusté ou le sous-équipement lorsquils seront franchis, ne peuvent se faire quà dire dexpert. Ce qui laisse une bonne part de subjectivité chez chaque expert et de variabilité de lun à lautre ; sans compter linévitable arbitraire de décider comment on détermine lesdits experts. Dans ces conditions, on pourrait tout au plus dire : « Selon les appréciations des experts, commis par le ministre, il y aurait environ les deux tiers des hôpitaux qui seraient vétustes ou sous-équipés ». Les conditions arbitraires et contingentes de la détermination de la proportion en question ne permettent sûrement pas de donner un pourcentage au point près ; a fortiori avec une décimale ! A trop vouloir prouver . Si le lecteur attentif que devrait être tout citoyen est intrigué par cette excessive précision, il devra non seulement ne pas accorder foi à ce quon lui dit, mais encore se demander pourquoi « on » pense utile de le lui dire. Il risque alors fâcheusement de se dire que les médecins hospitaliers, comme beaucoup, veulent toujours des équipements plus perfectionnés, mais que cest une pente techniciste ; que lon aimerait simultanément avoir un bilan de la corrélation (positive ? négative ?) entre la taille des établissements et le risque nosocomial, dont on dit par ailleurs quil est un des problèmes majeurs de lhospitalisation et un important facteur de la mortalité hospitalière ; que le ministre nest, à ce quon dit, pas insensible au lobby médical (on prend du reste souvent un médecin comme ministre) ; que les services de ce même ministre (que Bercy nomme si élégamment « services dépensiers ») ont à cur de justifier leur utilité en promouvant des politiques, qui ne sont jamais évaluées ; bref, tout un tas de pensées perfides et perverses quil vaut mieux que les citoyens naient pas. Et qui, du reste, ne sont pas plus fondées ni évaluables que ce quelles critiquent ! Mais, rassurez-vous : nayant pas eu dans leur éducation civique de quoi se prémunir contre linanité des chiffres quon leur brandit, les citoyens nauront pas de telles pensées.
René Padieu |