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Juillet 2003 numéro 34[Table des matières]
Opinion et pourcentages
UN GROS titre barre la une du Parisien-Dimanche du 25 mai 2003, jour des grandes manifs : « crise sociale :74 % des Français pensent que ça va durer ». Nous ne mettons en cause ni le fait que les Français aient cette opinion, ni la méthode pour le mesurer, ni la forme parfaitement claire de la publication. Mais on peut sinterroger sur leffet produit. (Pénombre, cest « lusage public du nombre »). À lire ce résultat, présenté avec toute la force dun fait massif, on se convainc que lOpinion est convaincue de la durée de la crise, cest-à-dire que les Français constatent que la crise est durable. Cela induit quelle est réelle et forte et quil ny a rien à faire contre. Cela peut même induire de la sympathie pour les acteurs de la crise : les syndicats ont bien raison de sopposer aux projets pervers du gouvernement ; ou, le gouvernement a bien raison de ne pas céder à la démagogie des syndicats. Renforcer de telles opinions, cest par exemple convaincre les indécis du bien-fondé des manifestations, les inciter à y aller et donc en assurer le succès. On mesure là le rôle que la presse peut jouer, non seulement pour relater ce qui se passe, mais pour en infléchir le cours. Et, avant elle, ceux qui commanditent le sondage qui, révélant létat de lopinion, va permettre cette influence en retour sur elle. Où le propos informatif devient « performatif ». Du reste, on pourrait citer des exemples inverses (peu connus précisément parce que ce sont des exemples de silence): jai le souvenir, au début des années 80, dune entreprise de 800 salariés qui a été liquidée sans que ceux-ci soient secourus, alors que la presse et la France sétaient presque en même temps mobilisées des semaines durant pour défendre lemploi à la liquidation dune entreprise de moins de 100 personnes. Sans doute, ces errements ne mettent pas spécialement en cause lusage des chiffres et donc il sagit dun problème plus vaste, de communication et démotion. Il reste que les chiffres y sont parfois convoqués comme dans le cas présent, comme vecteurs de linfluence de lopinion sur elle-même.
René Padieu |