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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Juillet 2003– numéro 34[Table des matières]

 

La rubrique du compteur


Encore plus

L’analyse érudite que Bruno Aubusson donne ici des usages de « fois plus » et « fois moins », selon les grammairiens, réactive chez moi une pensée de plusieurs années. Comme il le signale, « plus » est un même vocable qui couvre deux concepts tout à fait distincts : celui d’addition et celui de comparaison. Du reste, les mathématiciens utilisent deux signes différents : deux plus trois, qui font cinq, s’écrit 2 + 3 = 5 ; tandis que pour exprimer que 3 est plus que 2, on écrit 3 > 2.

Je considérais que c’était une faiblesse du français que d’exprimer deux notions par le même terme. Une source de méprise chez le lecteur, mais aussi une marque de confusion chez l’orateur. Un peu comme ceux qui écrivent « quelque soit » au lieu de « quel que soit ». À mon avis, il n’y a pas de raison d’écrire « + 60 ans » pour parler des gens qui ont « plus de 60 ans ». Ou alors, laissez-moi écrire « + 2 60 ans » ! Car, si vous confondez « + » avec « > », je peux bien confondre « deux » avec « de » : l’orthographe diffère, mais ça se prononce pareil… On tombe ici sur le rébus : de nos jours, certains terminent un message par « À+ » voulant dire « à plus tard ».

Je me souviens avoir une fois fait l’erreur de lecture suivante. Dans une publication, un tableau donnait la répartition d’entreprises par tranches de bénéfice ; la typographie était telle que j’ai lu « - 60 kF » comme un déficit, alors que l’auteur parlait de bénéfices positifs inférieurs à 60. Depuis cette expérience, j’ai toujours recommandé à mes étudiants de bien écrire « < 60 kF », de même que « < 20 ans » et « > 60 ans », etc.

Ayant été à l’école en Angleterre, j’avais appris l’addition avec le mot « plus » (three plus two), tandis que l’anglais construit les comparatifs avec l’adverbe « more ». La confusion n’était pas possible. Je prenais l’exemple de l’anglais pour illustrer que la rencontre des deux notions sur le même mot, en français, était de même nature que celle du « cru » qui n’est pas cuit avec un « cru » de Bourgogne (qui n’est en effet pas un vin cuit !) ou le participe du verbe « croire ». Las ! j’ai découvert par la suite que les Anglais utilisent à l’occasion la même écriture fautive : en marquant « + 60 » pour « more than 60 ». Je dois donc me passer du témoignage de la perfide Albion. Mais je persiste à dire qu’il vaut mieux ne pas confondre et qu’une distinction d’écriture est le gage d’une clarté de pensée.

Revenant à « trois fois plus », la question est donc de savoir si ce « plus » est celui de l’addition ou de la comparaison. Or, quand on emploie cette expression, c’est en général pour comparer. On est ici dans l’ordre de la multiplication (2 fois 2 = 4 ; 3 fois 2 = 6 ; 4 fois 2 = 8 ; etc.). « Fois » indique que l’on est dans le registre multiplication-division et non dans le registre addition-soustraction. Et, « plus » ou « moins » indique le sens de l’opération : avec « plus » on multiplie, car on va vers le plus grand, avec « moins », on divise, car on va vers le moins grand.

Voilà ! Ayant écrit ces lignes, avant de les soumettre à Pénombre, je les ai montrées à un ami belge : il m’a dit que j’ai une fois raison ! Voulant dire qu’on ne saurait mieux dire ? ou, qu’il n’y a rien à ajouter ?

 

Donc, si «moitié moins» c’est 50 % de moins (la moitié de ce qu’on a au départ), «moitié plus » est bien aussi 50 % de plus (soit 1,5 fois). Et si on ajoute encore autant, on a « deux moitiés plus», soit « une fois plus » ! ce qui est égal à «deux fois».
Donc 1 = 2. C.q.f.d.
Symétriquement, une fois moins, c’est plus rien. Mais comme «deux fois moins», c’est la moitié, et que «deux fois moins» c’est deux fois «une fois moins», on a 1/2 = 2 x 0 ou, en doublant des deux côtés du signe «=», 1 = 4 x 0 = 0.
Donc 1 = 0. C.q.f.d.

 

 

René Padieu