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Juillet 2003 numéro 34[Table des matières]
Le pays le plus...
Voici lessentiel dun échange entendu sur France 2, le 11 mars 2002, à un mois dune échéance électorale importante: J. Chirac : « Les statistiques - encore elles, naturellement, mais on ne peut pas y échapper - de lUnion européenne montrent que nous sommes le 12ème pays pour ce qui concerne la richesse par habitant. Nous étions, il y a encore quelques années, le troisième ou le quatrième. » Gérard Leclerc : « On a décroché entre 93 et 97 et ça sest un peu amélioré depuis, dit le gouvernement. » J. C. : « Mais non, mais non ! Monsieur Leclerc ! On a décroché parce quon travaille de moins en moins, et comme on travaille moins, on na pas de progression de notre pouvoir dachat au niveau où on aurait pu lescompter. » On ne peut peut-être pas « échapper aux statistiques », mais on peut au moins éviter den faire un usage erroné ! Il faut reconnaître, en loccurrence, que le « dossier » nest pas très simple et que nous sommes ici en présence dun palmarès très sensible au sens statistique comme au sens politique du terme ! Quen est-il en fait ? Au début de lannée 2002, quand ont été connus les travaux dEurostat sur les « parités de pouvoir dachat », des titres-chocs sont apparus dans la presse. Par exemple : « Les Français sont moins riches que les autres » (Le Monde, 15 janvier 2002). Les propos de Jacques Chirac en mars faisaient écho à ces articles en oubliant quelques mises au point parues en février avec, il est vrai, un écho bien moindre que les premiers titres : « les marges dincertitude sur les mesures de PIB(1) sont, en elles-mêmes, grandes, et sans doute supérieures à ces quelques pour cent qui font la différence dans le classement Eurostat. [ ] La marge dincertitude, dans de telles comparaisons, est de lordre de 10 à 15 % selon les cas, la fiabilité des classements est proche de 0. » (Le Monde, 2 février 2002). Le 14 mars, trois jours après le débat télévisé, Libération indiquait : « une énorme bourde sest glissée dans les calculs dEurostat [...] qui a intégré, en France, une hausse de plus de 47 % des prix à la construction en 1997 ». En fait, il est vrai que le « PIB par habitant en standard de pouvoir dachat » plaçait la France au douzième rang sur quinze en 1998, alors quelle se situait au deuxième rang en 1992 selon les chiffres publiés par loffice statistique européen. Toujours selon ce même indicateur, cette année-là, le Luxembourg arriverait en tête avec un indice 176 (pour une moyenne européenne fixée à 100 par convention). Le Grand-duché précéderait le Danemark, qui affiche 121. La France serait douzième, on la vu, avec un indice égal à 99. Le quinzième est la Grèce avec 68. On remarque au passage :
La définition Le PIB par habitant utilise au numérateur le PIB (production intérieure au cours dune année) et au dénominateur la population du pays. Numérateur : admettons ici que le PIB est pertinent pour apprécier la richesse réelle dun pays (ce que daucuns contestent fortement). Dénominateur : le choix du PIB par habitant nest nullement indéfendable. En revanche, si on voulait apprécier la productivité du travail, à laquelle Jacques Chirac fait allusion, il faudrait comparer le PIB à la population active et non à la population du pays. Dans le cas du Luxembourg, cette population active est en grande partie frontalière et étrangère ce qui contribue à expliquer le très haut niveau du PIB par habitant. Pour la France, dont la démographie est - un peu - plus vaillante que chez la plupart de ses voisins, la croissance de la population contribue à expliquer lévolution défavorable de son classement au cours des années quatre-vingt-dix. Par ailleurs, pour effectuer des comparaisons internationales, il faut une référence commune. On ne peut utiliser la monnaie dun pays, car les fluctuations monétaires bouleverseraient les données, sans commune mesure avec les variations des niveaux de vie. On définit donc des « standards de pouvoir dachat » en utilisant des « paniers » de biens et de services, dont on mesure les prix dans les différents pays que lon désire comparer. Ce qui, on le devine, pose des problèmes théoriques et pratiques redoutables Sur le plan théorique, les deux grandes méthodes « reconnues » divergent notablement. Bornons-nous à indiquer que lune de ces méthodes attribue à chaque produit un même prix dans tous les pays, la structure du « panier de la ménagère » étant spécifique à chacun. Lautre utilise un panier représentatif commun à tous les pays, avec des prix différents. Pour certains pays comme la Turquie ou la Russie, lécart peut avoisiner vingt points ! Eurostat précise dailleurs - mais cette précaution est souvent « oubliée » par les utilisateurs - que les marges dincertitude sont de lordre de cinq points À condition que les calculs ne soient pas trop arbitraires, voire entachés derreurs !
Les calculs En effet, si on postule - hypothèse audacieuse - quon a défini un indicateur unanimement reconnu et une méthode de construction universellement admise, il reste à voir comment sont construits les indicateurs et séries statistiques utilisés. On se souvient, il y a quelques années, de lémoi qui a saisi lItalie lorsque, après une réestimation de son PIB, il savérait que ce pays dépassait désormais le Royaume-Uni (il semble que la presse britannique ait été plus discrète sur lévénement si événement il y eut). Cest aussi sur une brusque révision des chiffres que le bât blesse le plus, dans le cas qui nous intéresse ici, comme le signale dailleurs larticle de Libération. Que sest-il passé en effet ? Il est simplement arrivé que le consultant chargé par Eurostat dévaluer les prix de la construction a changé en 1997. Il en est résulté un bond de plus de quarante points de cet indice pour la France entre 1996 et 1997 ! À elle seule, cette rupture de série lui fait perdre trois ou quatre rangs.
La construction du « palmarès » et son utilisation Admettons, hypothèse de plus en plus forte, que les méthodes et calculs aient abouti à des résultats indiscutables, ou du moins peu discutables Arrive alors la présentation des résultats, qui nest évidemment pas sans importance quant à leur impact. Par exemple, Eurostat, dans sa présentation des résultats 2000/2001, cette fois-ci pour 31 pays, mentionne que « ces indices nont pas pour but détablir un classement strict des pays ; ils ne fournissent en fait quune indication de lordre de grandeur des volumes du PIB par habitant dun pays à lautre ». Et de construire six groupes de niveau comparable assez bien différenciés. Sans évidemment être exempte de tout risque, cette approche se prête moins à des utilisations erronées ou tendancieuses Il reste néanmoins, last but not least, à utiliser et à commenter les palmarès et classements ainsi construits. Par exemple, le « programme de comparaison européenne » piloté par Eurostat, sappuie sur les comparaisons de PIB par habitant pour attribuer à certaines régions des fonds structurels. Lenjeu nest pas négligeable. Et, on la vu, il arrive que le débat public sen empare. À moins que, à linverse, ce soit une certaine conception du débat public - dont on peut parfois regretter le simplisme - qui pousse justement la presse à multiplier les publications de palmarès en tous genres, sur des bases qui ne sont pas toujours bien assurées
Alain Gély (1) Le PIB est approximativement la somme des valeurs ajoutées dune économie (soit, production diminuée des consommations intermédiaires) ; on peut aussi dire en dautres termes que le PIB dun pays pour lannée 2000, par exemple, est lensemble des richesses créées sur le territoire de ce pays cette année-là. |