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C’est le titre d’une rencontre professionnelle thématique organisée par les “ Entretiens de l’information ”, en partenariat avec le journal La Croix et Pénombre, tenue dans le cadre de la 24e Université de la communication. Le 26 août à Hourtin, Francis Lafon, journaliste à l’Alsace, donnait la parole à ceux qui ont vécu de près les différentes étapes conduisant à l’examen du projet de réforme par le Parlement. François Lagarde, conseiller technique au secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites (COR), rappelait comment cet organisme a pu préparer un diagnostic assez largement partagé : la publication du rapport devait éviter une nouvelle polémique sur les chiffres et alimenter un débat de nature politique. Mais il était le premier à constater un décalage entre la présentation des chiffres donnée par les experts (qui mettaient en avant la combinaison et la nécessaire cohérence des trois paramètres que sont la durée de cotisation, le montant des cotisations et le taux de remplacement, le tout sur la base d’une hypothèse volontariste quant à l’emploi en particulier pour les “ seniors ”) et la réduction des débats publics à un seul aspect (la durée de cotisation). Xavier Bertrand, député de l’Aisne, secrétaire général adjoint de l’UMP, rapporteur auprès de la commission des finances du projet de loi, reconnaissait avoir eu très largement recours aux éléments chiffrés contenus dans le rapport du COR dans son rôle d’animateur du débat sur les retraites pour son parti. Mais, il insistait sur la nécessité pour lui de les traduire en éléments plus concrets : “ parler de 50 milliards d’euros pour le poids des retraites du public en 2040 correspond à la réalité, indiquer que la même somme permet de construire 1 000 hôpitaux comme celui d’une ville comme Fécamp parle davantage ”. Il déplorait aussi que l’usage des chiffres fait par les médias, en particulier à la télé, n’ouvre pas un espace d’explication suffisant pour exposer les choix proposés. Pour Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT, il n’y avait aucun doute sur le rôle central des chiffres dans un débat qui pour lui est loin d’être achevé. Il pointait trois difficultés quant à la qualité de ce débat : il est difficile de rendre lisible le lien entre la situation de chacun et la situation globale ; le passage de l’usage prudent des chiffres par les experts à l’utilisation polémique par certains médias ; les dérapages successifs qui finissent par enfermer les discussions dans un cadre limité. Jean-Claude Willard, directeur technique à l’Agirc-Arrco (régimes complémentaires) a rejoint ces premiers diagnostics en soulignant combien était douloureux pour l’expert d’avoir le sentiment de contribuer à appauvrir ou enfermer le débat public en l’alimentant par des prévisions et des simulations d’autant plus fragiles qu’elles reportent sur quarante à cinquante ans des hypo- thèses plutôt fragiles : “ le technicien rêve alors d’être interpellé sur les présupposés et paramètres du modèle, plus que sur la précision illusoire des résultats ”. François Erneinwein, rédacteur en chef à La Croix, donnait alors son point de vue sur les conditions dans lesquelles la presse avait abordé ce débat. N’étant pas productrice d’information chiffrée, elle utilise ce qui vient à sa disposition. Et selon lui, les rédactions souffrent sur ce plan de la conjonction d’un manque d’expertise (on demande moins à un journaliste d’être expert que de rendre compréhensible ce qui vient d’ailleurs) et d’un poids de plus en plus fort d’une logique de concurrence et de vitesse (essayer de publier le plus rapidement possible le contenu d’un rapport comme celui du COR). Et sur le fond, F. Ernenwein avançait l’explication selon laquelle les rédactions se sont montrées plutôt acquises au projet sans se reposer sur une vérité des chiffres mais avec le sentiment qu’elles allaient ainsi dans le sens d’une opinion publique elle-même favorable. Mais il relevait que les journalistes n’étaient pas seuls responsables de la qualité des débats de société et de leur durcissement en France. Après la discussion, Bertrand Labasse, professeur de méthodologie de l’information à l’École supérieure de journalisme de Lille, reliait ces défauts observés dans l’utilisation dans les médias des chiffres à propos des retraites à des difficultés plus générales liées au traitement d’une information complexe. Il pointait la nécessité de dépasser le sentiment de découragement que peuvent éprouver les étudiants journalistes en constatant les nombreuses erreurs commises à propos de l’information chiffrée pour faire du chiffre un objet d’investigation en soi, susceptible d’intéresser les lecteurs plus qu’on ne le pense. Les textes introductifs à ce débat ont été publiés dans un dossier réalisé par La Croix dans son édition du 26 août. Le compte rendu détaillé est en préparation dans la perspective d’un numéro hors-série des Cahiers du journalisme (revue éditée par l’ESJ et l’Université Laval-Québec). Pour sa part, Pénombre prolongera cette réflexion à l’occasion d’une “ nocturne ” faisant le lien entre l’usage fait des chiffres dans le dossier des retraites et celui qui s’annonce dans le dossier de la réforme du financement de la santé. La date de cette réunion publique est annoncée par ailleurs, mais sans attendre, vos observations, réactions et propositions de participation seront bienvenues.
B. A. de C. |