|
||||||||||||||||||||||||
Mars 2004 numéro 36[Table des matières] DYNAMIQUE DES POPULATIONS
Le Monde, dans son supplément du week-end, Argent, est revenu en “ une ”, deux fois, le 20/21 avril et le 16/17 novembre 2003, sur une étude du Bipe, société privée de conseil en stratégie, traitant des besoins en logements et services en 2010. Je n’aime pas beaucoup les accroches de cette étude - citées par le quotidien et que l’on trouve sur le site de cette société : “ La carte démographique de la France sera radicalement différente en 2010 ”, “ un choc démographique de grande ampleur : l’explosion de la population des seniors s’accompagnera du déclin rapide du nombre d’actifs ”. Il y a rarement de choc et d’explosion en démographie. Les évolutions en ce domaine sont lentes et ce n’est qu’à terme qu’elles conduisent à des modifications substantielles. Par ailleurs, le Bipe n’est pas le premier à annoncer le vieillissement de la population : tous les Français sont au courant, qu’ils approuvent l’allongement de la durée de cotisation décidée pour y faire face ou qu’ils manifestent contre. Mais ce n’est pas le plus important. Dans l’article du 20/21 avril, on lit : “ L’Île-de-France, qui cumule les handicaps - pollution, cherté des logements et difficulté de se déplacer - accuserait un déficit migratoire allant jusqu’à un million de personnes (retraités en mal de soleil et étudiants qui n’y viennent plus) ”. Le déficit migratoire de cette région ne date pas d’aujourd’hui mais existe depuis une trentaine d’années. Dans la dernière période intercensitaire, entre 1990 et 1999, il a été d’un demi-million : différence entre 1,8 million de départs et 1,3 million d’arrivées. Je reviendrai sur l’augmentation annoncée de ce déficit. Notons d’abord que dans l’article suivant, du 16/17 novembre, ce déficit migratoire devient un déficit tout court, puisqu’on y lit : “ L’Île-de-France devrait perdre un million d’habitants d’ici cette échéance [2010] ”. Ceci est une absurdité. Pourquoi ? Parce que le déficit migratoire de cette région est compensé par son accroissement naturel, qui, lui, est nettement positif. Comme la population de cette région est plus jeune que celle du pays, sa natalité est plus forte et sa mortalité plus faible. On a compté ainsi dans la même période 1990-1999 1,5 million de naissances et 0,7 million de décès, ce qui fait un solde positif de 0,8 million, qui dépasse de 0,3 million le déficit migratoire. Cette situation ne changera pas du jour au lendemain, en tout cas pas d’ici 2010. Question ? Est-ce Le Monde qui écrit des bêtises ou les recopie-t-il ? Il faudrait aller voir le rapport du Bipe. Mais sa consultation coûte 25 000 € hors taxe. TTC, c’est deux budgets annuels de Pénombre… Je reviens sur le déficit migratoire. De 1990 à 1999, celui-ci était d’environ 55 000 par an (0,5 million/9) Entre 2003 et 2010 il passerait, d’après le Bipe, à 140 000 (1 million/7), soit 2,5 fois plus. Comment cela pourrait-il être possible ? D’après ce qu’il en est dit sur le site, les auteurs du rapport ont effectué des perspectives de populations régionales, dont les résultats les amènent à classer les régions et les départements en attractifs et répulsifs, avec dans le second groupe l’Île-de-France et Paris. Les départements répulsifs (au nombre de 44) “ enregistreraient une baisse de la demande de logements, ce qui aurait pour conséquence de les dévaloriser, y compris à Paris… ”. Comment peut-on arriver à des conclusions qui vont à l’encontre de toutes les observations ? Les auteurs de l’étude se targuent d’avoir, contrairement à l’Insee dont les “ projections ” régionales (parues en 2003) se contentent de prolonger les tendances migratoires passées, infléchi ces tendances à partir d’enquêtes sur les intentions de bougeotte des Français. Comme apparemment beaucoup de Franciliens leur ont déclaré qu’ils voulaient quitter leur région, ils en ont conclu qu’ils le feraient… Mais faut-il être naïf pour croire que tous ceux qui ont envie de quitter la région vont le faire ? Non pas parce qu’ils manqueraient de suite dans les idées, mais tout simplement parce que, à l’exception des retraités, la plupart des gens qui s’installent dans une autre région, ne le font pas d’abord pour ses charmes supposés. Les provinciaux qui emménagent en Île-de-France y viennent parce qu’ils y ont trouvé un travail. De même, ceux qui veulent partir en province, ne le font, pour la plupart, que quand ils y en ont trouvé un. Or, on ne voit pas pourquoi demain les emplois continueraient à augmenter en province et se mettraient à diminuer en région parisienne. Cela étant, les différences de prix des logements entre L’Île-de-France et la province ne sont pas à négliger dans les motivations des migrations. Mais, dans le supplément du 16/17 novembre, sur la même “ une ” qui fait état de l’étude du Bipe, l’article principal est titré : “ Immobilier : les régions s’enflamment ” et sous-titré “ … À Montpellier, Nantes, Toulouse ou Marseille, le marché s’aligne sur les pratiques parisiennes. ”…
Alfred Dittgen |