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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Juin 2005– numéro 40[Table des matières]

 

CHOSES VUES, CHOSES LUES

Des hits pas au top

L’enquête « L’indigestion culturelle » publiée par l’hebdo français Télérama (26 janvier 2005) nous apprend qu’en moins de vingt ans la parution des livres a doublé, que 554 films ont été diffusés en 2004, contre 396 en 1993, ou que le nombre de spectacles vivants subsidiés est désormais supérieur à celui que le réseau des salles de l’Hexagone peut absorber !

Pas facile donc pour le public de faire ses choix et certains moyens qui sont mis en place pour lui faciliter la tâche sont parfois grippés ! Autant le savoir pour continuer à y avoir recours mais avec un sens critique afin d’éviter les pièges. Il s’agit principalement de classements réalisés par des spécialistes ou de hits qui couronnent soit-disant les achats du public.

Certains classements sont censés représenter la sanction du public. Ils constituent des repères pour ceux et celles qui souhaitent se conformer aux choix et goûts du plus grand nombre de leurs semblables. Hélas, ils sont souvent dupés !

Même des émissions d’information telles que des JT participent à pareille manipulation. Le 20 janvier dernier, pendant le 13 h de France2, Christophe Hondelatte remettait un double disque d’or au chanteur de charme Franck Michaël. Ce trophée couronnait 200 000 CD vendus, fut-il rappelé. Mais vendus à qui ? Au public ? Le « métier » sait que c’est impossible. Jean-Luc Cambier note que l’album In Blue du groupe irlandais The Corrs est « disque d’or en Belgique avant même sa mise en magasin » (Télémoustique, 26 juillet 2000). Pour la sortie de Rattle and Hum de U2, le label BMG s’est offert une pleine page de publicité dont le slogan était : « Aujourd’hui : sortie mondiale : déjà disque d’or en France » (Libération, 10 octobre 1988).

De fait, ce ne sont pas les achats du public mais bien les commandes des disquaires qui sont pris en compte. Ces dernières peuvent d’ailleurs être influencées par les représentants de firmes : demandez-nous un maximum d’exemplaires de cet artiste car vous pourrez nous retourner les invendus, ce qui n’est pas le cas pour nos autres productions. Et l’on assiste parfois à des avalanches de retours. Le prétendu choix du public n’est donc en fait que celui de l’industriel qui tente d’influencer les disquaires et les consommateurs.

Il est tout aussi surprenant de découvrir, le mercredi 29 novembre 2000, dans le supplément MAD du Soir que le film classé n°1 dans la rubrique « Les stars du marché » est « Dinosaure » alors que c’est précisément ce jour-là que ce film démarre sa carrière dans les salles belges ! Ce classement ne reflète donc pas les achats de places par le public mais bien le choix du distributeur qui souhaite lancer sa superproduction en organisant, durant les jours précédant sa commercialisation, de nombreuses avant-premières aux entrées offertes notamment par le biais de jeux. À nouveau, ce qui pourrait apparaître comme une option du public n’est en fait que le fruit d’une décision des producteurs de l’offre culturelle ainsi promue.

Les amateurs de hits ont tout intérêt à s’interroger sur la manière dont ceux-ci ont été élaborés. Ainsi, l’Ultratop belge s’est passé pendant de nombreuses années des résultats de ventes de la Fnac. Lorsque ce classement a enfin pris en compte en 2003 les chiffres de vente de ce réseau de grandes surfaces de type culturel, les résultats hebdomadaires qui ne couronnaient que des morceaux fort commerciaux évoluèrent et des productions de Miles Davis ou de Miam Monster Miam (groupe liégeois peu médiatisé à l’époque) apparurent comme prisées par le public.

Face à tant de mises en évidence partisanes, le public a tout intérêt à ne pas mésestimer sa propre capacité à rechercher par lui-même des interlocuteurs « de terrain » qui pourront le conseiller dans ses choix de manière plus désintéressée : par exemple, le libraire ou le disquaire du coin, certaines « niches » dans les médias (la rubrique « Ciné » d’Henri Sonet dans Le Ligueur !), tel animateur d’un centre culturel ou les conseils d’amis pour le choix de lieux culturels par excellence : les brasseries, les bars à vins…

 

Bernard Hennebert

N.d.l.r. Tout honnête francophone a sûrement entendu parler du Soir, mais pas nécessairement du Ligueur. Pour en savoir plus, on peut consulter le site (au service des droits des usagers du temps libre, cultures, médias, loisirs) de notre contributeur d’outre Quiévrain  : www.consoloisirs.be