Lettre d'information de Pénombre
association française régie par
la loi du 1er juillet 1901 |
Cachez cette complexité que
je ne saurais voir - Longueur de la détention provisoire
et peine prononcée |
Le numéro
d’avril 2005 des dossiers du Canard enchaîné, intitulé
« L’horreur judiciaire », consacre naturellement
un chapitre à la détention provisoire. On y trouve le passage
suivant : « Plus la détention provisoire est longue,
plus la dose de prison ferme est importante. Une longue enquête
du chercheur Pierre Tournier relève qu’une personne qui a
subi 1 à 2 mois de détention provisoire ramasse - c’est
quasi mathématique - 1 à 2 mois. Celui qui l’a endureé
2 à 3 mois écope, lui de 2 à 3 mois etc. Les chances
d’être condamné à une peine inférieure
au temps de séjour en provisoire sont infimes ».
Voilà ce que le journaliste longuement reçu
a « ramassé » de mes propos. Ce que j’avais
essayé de faire passer était un peu plus compliqué(1).
Peine perdue.
Le jeu des 7 précisions
- « Les dossiers du Canard » sont publiés
en 2005 ; les données mobilisées se réfèrent,
elles, aux années 1983-1984 : elles ont donc 20 ans. Cela
ne remet pas complètement en cause leur intérêt
compte tenu du peu de travaux sur le sujet, mais n’aurait-il
pas été utile d’en informer le lecteur ?
Le domaine a fait l’objet de quelques réformes législatives
d’importance entre-temps.
- La situation examinée dans cette recherche n’aborde
que partiellement la question des liens entre détention provisoire
effectuée et peine prononcée. On a étudié
ce que devenaient les personnes mises en détention provisoire
et bénéficiant, en cours d’instruction, d’une
ordonnance de mise en liberté. Nous avons, cinq ans après
leur libération, examiné leur casier judiciaire pour
savoir s’ils avaient été condamnés à
la suite de cette détention provisoire et si oui à quelle
peine. Il n’est donc pas question ici des prévenus encore
détenus au moment du procès.
- Résultats ? 22 % n’ont pas été
condamnés (pas d’inscription au casier), 36 % ont
fait l’objet d’une condamnation sans privation de liberté
et enfin 42 % ont été condamnés à
une peine privative de liberté (ferme ou mixte c’est-à-dire
avec un sursis partiel). Ainsi pour une majorité d’entre
eux (58 %), la détention provisoire n’a pas été
suivie d’une condamnation à une peine (ferme) privative
de liberté.
- Il n’existe pas de corrélation entre la proportion
de condamnés parmi les libérés et le temps passé
en détention provisoire.
- Mais en cas de condamnation, plus la détention provisoire
est longue, plus la proportion de condamnations à la prison
ferme est importante : de 28 % pour les durées « de
moins de 15 jours », à 92 % pour les durées
de « six mois et plus ».
- En cas de condamnation à la prison ferme, le quantum ferme
prononcé est statistiquement lié à la durée
de la détention provisoire effectuée.
- Dans 4 % des cas de condamnation à la prison ferme,
la peine est inférieure à la détention provisoire
effectuée.
22 % + 36 % + (4% x 42 %) = 60 %
des libérés ont échappé à toute sanction,
ou ont été condamnés à une peine non carcérale,
ou à une peine ferme inférieure à la détention
provisoire. 60 % une chance infime ? Si on veut…
De toute évidence, les canetons ont eu droit
à un dossier incomplet, partiel, voire partial.
Pierre V. Tournier
(1). Pierre Tournier, France-Line Mary,
Carlos Portas, Au-delà de la libération. Observation suivie
d’une cohorte d’entrants en prison, CESDIP, 1997.
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