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Novembre 2006– numéro 44[Table des matières]
POURCENTAGES
Tout ce que je puis vous dire, c’est que, sur cent chances, si nous en avons quatre-vingt-dix-neuf contre nous, la centième, du moins, nous appartient. Capitaine Robert Kurtis, Le Chancellor, ch. XXV, Jules Verne (1874) Trois articles parus à dix jours d’intervalle viennent nous interroger sur le processus de décision en présence de risque. Les deux premiers ont peu de choses en commun : l’un traite de la guerre contre le terrorisme (New York Times, 20 juin 2006), l’autre du lancement de la navette spatiale Discovery (Associated Press, 29 juin 2006). Peu de choses en commun si ce n’est un même niveau de risque déclaré : un pour cent. Dans le premier compte rendu de lecture de l’ouvrage de Ron Suskind, The One Percent Doctrine, on apprend que le vice-président des États-Unis, Dick Cheney, a déclaré peu de temps après le 11 septembre 2001 : « s’il y a ne serait-ce qu’une chance sur cent que des terroristes possèdent une arme de destruction massive, les États-Unis doivent agir comme s’il s’agissait d’une certitude ». L’auteur du livre souligne qu’il s’agit d’une rupture majeure dans le processus de prise de décision puisque c’est dorénavant le soupçon et non la preuve qui déclenche l’intervention. Dans la dépêche de l’Associated Press, on apprend que « les sept membres d’équipage de la navette Discovery savent, selon les statistiques fournies par la NASA, qu’ils ont une chance sur cent d’y laisser leur vie ». Le directeur de la sécurité de la NASA, appliquant la doctrine Cheney (sans doute sans le savoir) souhaitait que le lancement soit reporté tant que n’aurait pas été complètement résolu le problème du décollement de la mousse isolante du réservoir principal. On se rappelle que ce problème est à l’origine de la destruction de Columbia lors de son retour dans l’atmosphère. L’administrateur de la NASA, Michael Griffin, a décidé qu’en dépit de ce léger risque, il était préférable de maintenir le lancement. « C’est une décision difficile, très technique, très délicate », a-t-il expliqué à l’Associated Press, « nous avons passé plusieurs semaines sur cette décision ». La dépêche se conclut par une déclaration d’un expert es-risques qui affirme que la probabilité de perte d’un véhicule et de son équipage, de l’ordre de 1 %, doit être considérée comme très raisonnable. Une synthèse pourrait venir du troisième article (New York Times, 20 juin 2006) : «Risque acceptable, une affaire de point de vue». Dans une étude menée à l’Université du Michigan, on a distribué à un échantillon aléatoire de 2 399 internautes le scénario suivant : une nouvelle grippe asiatique se déclare, elle est mortelle dans 10 % des cas. On dispose d’un vaccin fabriqué à partir d’une forme atténuée du virus, mais le vaccin n’est pas sans risque, puisqu’il entraîne des complications mortelles dans 5 % des cas. Que faites-vous ? L’échantillon a été réparti en quatre groupes auxquels ont été confiés des rôles différents (et mutuellement exclusifs). Résultats : 48 % se font vacciner, 57 % vaccinent leurs enfants, 63 % de ceux qui jouent un médecin administrent le vaccin à leurs patients, 73 % de ceux qui jouent un directeur d’hôpital demandent la vaccination générale de tous les patients de l’hôpital. Conclusion de l’étude : la décision d’arbitrage entre deux risques est substantiellement influencée par le rôle ; lorsqu’on est décideur, il est plus facile de voir large. François Sermier
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