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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Octobre 2007– numéro 46 [Table des matières]

 

CHRONIQUE ÉCONOMIQUE


Traduttore, traditore

On sait, on pourrait ou on devrait savoir que la comparaison entre pays du PNB par habitant, généralement exprimé en dollars, n’a pas de sens, car ce qu’on peut acheter avec un dollar varie fortement d’un pays à l’autre. D’une façon générale, avec le même nombre de dollars on peut se procurer beaucoup plus de biens et de services dans les pays pauvres que dans les pays riches. C’est pourquoi pour se livrer à une comparaison de niveau de vie il vaut mieux utiliser le PNB à parité de pouvoir d’achat, PNBppa, indicateur qui tient compte de cela. Ainsi, en 2005, alors que les PNB par habitant du Japon et de la Chine sont respectivement de 34 200 et de 1 100 dollars, soit un rapport de 1 à plus de 30, les PNBppa sont respectivement de 31 400, et de 6 600 dollars, soit un rapport de 1 à moins de 5.

Dans le même ordre d’idée la traduction d’un revenu dans un pays du Tiers-monde en dollars ou en euros au cours du change n’a pas non plus de sens, sauf quand on veut comparer le coût du travail entre pays, facteur explicatif des délocalisations. Or les médias nous informent à peu près tous les jours qu’il y a des gens dans cette partie du monde, voire des nations entières, qui vivent avec un dollar ou un euro par jour. Ou nous parle de salaires mensuels de quelques dizaines d’euros. On se doute que cela représente un grand état de pauvreté, mais… Avec un euro par jour dans le Sahel une personne peut subsister. Dans l’Euroland, elle est forcément à la rue, ne peut pas se nourrir et, selon l’endroit où elle se trouve, risque même de mourir de soif.

Pire encore, dans les reportages faits dans les pays en question, le traducteur met ces sommes en dollars ou en euros dans la bouche des interviewés. On entend ainsi un Népalais dire qu’il vit avec tant de dollars ou une Ghanéenne qu’elle gagne tant d’euros. Ceci dans un but pédagogique, car les auditeurs ou les téléspectateurs ne sont pas censés connaître la valeur de la roupie népalaise ou du cédi. C’est un non-sens. Comment faire alors ? Les gens en question se servent de leurs monnaies pour acheter ce dont ils ont besoin, alors pourquoi ne pas indiquer le prix d’un produit essentiel, d’un kilo de riz par exemple ? Ce serait nettement plus parlant que de faire dire à ces personnes qu’elles gagnent de l’argent dans une monnaie dont elles n’ont jamais vu la couleur ou dont elles n’ont jamais entendu parler.

Ce souci pédagogique pousse même certains journalistes à faire dire à des Étasuniens qu’ils gagnent des euros ! C’est très surprenant, sans compter que cette « traduction » ne tient pas compte des fluctuations entre les deux monnaies. Il y a quelques années, peu après la création de l’euro, le dollar valait à peu près un euro ; à l’heure où j’écris il n’en vaut plus que trois quarts ou, si l’on veut, l’euro vaut un tiers de plus que le dollar. Un salaire de 4 000 dollars aux États-Unis correspondait donc naguère à autant d’euros et maintenant à 3 000 seulement. Mais le niveau de vie de celui qui gagne cette somme n’a pas baissé d’un quart par rapport à celui de l’Eurolandais qui gagne 4 000 euros ou celui de ce dernier n’a pas augmenté d’un tiers par rapport à celui de l’Étasunien. De surcroît, même si la parité entre les deux monnaies ne fluctuait pas, la comparaison des revenus des deux côtés de l’Atlantique Nord resterait boiteuse, car l’Étasunien doit avec son salaire faire face à des dépenses d’éducation et de santé que l’Eurolandais n’a généralement pas à faire.

Autant traduire dollar par dollar, nos concitoyens ont quand même une idée de quoi il s’agit.

Alfred Dittgen