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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Octobre 2007– numéro 46 [Table des matières]

 

ROOTS


Pauvre Cid

Maroc-Hebdo l'annonçait dans son édition du 9 au 15 juin 2007 (n° 748) : les Cortès generales, le Parlement espagnol, a été saisi d'une proposition de loi émanant de députés de la gauche unie et du parti andalou tendant à faciliter l'acquisition de la nationalité espagnole aux descendants des « Morisques » définitivement expulsés de la péninsule ibérique par le roi Philippe III en 1609, après qu'une première mesure d'expulsion eut visé les musulmans du royaume de Grenade en 1492. Précédemment, dans son édition du dimanche 27 août 2006, n° 565, El Mundo avait informé ses lecteurs de l'existence d'une proposition de loi déposée au Parlement de la Communauté autonome d'Andalousie, émanant de la gauche unie et visant à accorder un droit d'acquisition préférentiel aux descendants des Morisques.

C'est cette proposition de loi, adoptée par la majorité de gauche (socialiste, gauche unie, parti andalou) du Parlement andalou, qui fut reprise à son compte, au plan national, cette fois, conformément à une procédure parlementaire qui prévoit la « conversion » de textes adoptés par les Parlements des Communautés autonomes en propositions de lois, par le groupe de la gauche unie, lequel déposa la proposition de loi dont l'hebdomadaire marocain se fit l'écho. Et quel écho ! Car selon Maroc Hebdo, « plus de 4 millions de personnes », disséminées entre le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye, voire la Mauritanie et le Mali, seraient potentiellement concernées. Toutefois, d'après l'hebdomadaire espagnol El Mundo, il y en aurait déjà 5 millions, rien qu'au Maroc !

Alors qui croire ? Et que croire ? Qu'en est-il quelque quatre siècles après le plus récent des faits générateurs de ce qui se veut une mesure législative de réparation, de pardon, une page de la mémoire nationale espagnole réconciliée avec elle-même ? Et d'abord, à quoi tend précisément la proposition de loi, qui a été soumise à l'examen du Congrès des députés espagnol ? Il s'agit de faire bénéficier du droit simplifié à l'acquisition de la nationalité espagnole les descendants des Morisques dans les mêmes conditions que celles dont bénéficient d'ores et déjà, aux termes du code civil espagnol, les ressortissants des États d'Amérique latine, de la Guinée équatoriale, des Philippines, du Portugal, de l'Andorre et... les sephardim, quelle que soit leur nationalité. Ces personnes peuvent acquérir la nationalité espagnole, dès lors qu'elles ont séjourné deux ans sur le sol espagnol, au lieu de dix selon le droit commun.

La difficulté tient à la définition du Morisque au vingt et unième siècle... Car, les expulsés de l'Espagne catholique ont pu se fondre dans la population de leur pays d'accueil (souvent le Maroc, l'Algérie ou la Tunisie, mais pas exclusivement, si on a égard à l'implantation des fameux armas au Mali, sans omettre la France, où se réfugièrent certains musulmans espagnols pourchassés, ni les anciennes colonies d'Amérique où des Morisques tentèrent leur chance...). En outre, les chiffres des personnes condamnées et expulsées par un tribunal de l'Inquisition ne peuvent servir de point de départ solide à un recensement précis, car il est admis par les historiens que les pertes humaines furent considérables et que seule une minorité des personnes expulsées parvint à gagner les terres d'exil. Et cette difficulté est d'autant plus grande qu'aujourd'hui, les descendants des musulmans ibériques persécutés ont, depuis longtemps, perdu l'usage de la langue espagnole, sauf, peut-être, les personnes résidant dans l'ancienne zone espagnole au Maroc !

Alors, sur quels critères opérer et fonder « l'hispanité » des intéressés ? Il est rappelé que des familles, au Maroc et en Tunisie, ont conservé les clefs des maisons de leurs ancêtres expulsés d'Espagne. Mais, il s'agit là d'une faible minorité et l'on doute qu'elle équivaille aux 5 millions de personnes citées par El Mundo ou même aux 4 millions de Maroc Hebdo... Les patronymes conservés pourraient servir de base à un recensement plus sérieux. Toutefois, la possession d'un nom d'origine castillane - même arabisé - ne préjuge pas des unions qui ont pu survenir dans une famille dont un membre a été expulsé par les rois catholiques. Comme, à l'inverse, un tel dénombrement présente le risque de laisser hors de son champ les descendants de Morisques, dont le nom se serait évanoui, par les mariages successifs. Et il serait surprenant, sinon paradoxal, de ne retenir que les "purs" descendants de Morisques expulsés, car la mesure envisagée par la gauche espagnole, après la majorité du Parlement andalou, tend justement à effacer le souvenir d'un temps où la "pureté du sang" déterminait le droit de séjourner ou non librement en Espagne.

D'où l'importance et l'enjeu tenant au nombre réellement en cause. Et sans le travail conjoint d'historiens, de démographes, de généalogistes, d'archivistes et des administrations compétentes, de part et d'autres, pour tenir l'état civil, il sera difficile d'élire tel(le) ou tel(le) parmi les descendants des Morisques. À défaut, en dépit de son caractère aussi emblématique que généreux, ce projet, fondé sur un effort louable de la mémoire collective, pourrait, soit n'apparaître que comme un « appel d'air » pour l'immigration en Espagne en provenance des pays africains, ce que ne manque pas de dénoncer le principal parti d'opposition à Madrid, soit se réduire à un coup d'épée dans l'eau, source de déceptions dans les pays d'accueil des Morisques ayant fui l'Inquisition.

Il n'en demeure pas moins que l'idée mérite d'être méditée et l'on se plaît à songer à une mesure tendant, symboliquement, à annuler les effets pervers de la révocation de l'Édit de Nantes et qui permettrait aux descendants des huguenots français disséminés à travers quatre continents, d'acquérir préférablement la nationalité française... En tout état de cause, l'on peut souhaiter à la famille hispanique ainsi réconciliée de répondre au souhait jadis formulé par le patriarche lors des veillées de Noël en Provence en vue de la prochaine année : "Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'être pas moins".

Chadanou Doubsar


Non veo con los ojos : las palabras

son mis ojos. Vivimos entre nombres ;

lo que no tiene nombre todavía

no existe : Adan de lodo,

no un muñeco de barro, una metafora.

Ver al mundo es deletrearlo.

Je ne vois pas avec les yeux. Les mots

sont mes yeux. Nous vivons parmi les noms ;

ce qui n’a pas de nom n’existe pas

encore : Adam de boue,

non pas un pantin d’argile, mais une métaphore.

Voir le monde est l’épeler.

Octavio Paz

Pasado en claro

Mise au net

traduit de l’espagnol par Roger Caillois