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Chroniques d'outre-nombre Victor Descombres N°3 - Juin 1997
La logique ombrageuse du pénal Mon ami André Kuhn, professeur de criminologie à l'Université de Lausanne 1 m'a adressé ce petit texte quelque peu décoiffant, et bien dans la logique de cette chronique. Il en a réservé la primeur aux lecteurs du Bulletin. Qu'il en soit remercié. V. D.
Voici trois affirmations très répandues dans notre société: (1) La prison est l'école du crime. (2) La personnalisation de la peine est une bonne chose. (3) Les récidivistes doivent être punis plus sévèrement que les délinquants primaires.
Comme cela se fait en logique mathématique, chacune de ces affirmations peut être considérée comme vraie ou fausse. Huit combinaisons sont alors possibles:
Chacun peut maintenant se situer sur ce tableau en fonction de ses opinions personnelles sur la question. Si votre choix est par exemple de nier la véracité des trois affirmations (colonne I), vous faites partie des adhérents à la théorie initiale du «just deserts» (peine juste), selon laquelle la punition doit être infligée uniquement en fonction du genre et de la gravité du crime commis. La peine ne tiendra compte ni de la capacité du délinquant à être resocialisé, ni de ses antécédents. Seule l'infraction commise doit être déterminante pour le choix de la sanction; la peine privative de liberté étant une des sanctions possibles, ni pire ni meilleure que les autres. Si votre choix se porte sur la colonne II, vous vous joignez à la grande majorité du public américain qui encourage des politiques criminelles neutralisantes destinées à enfermer de plus en plus de personnes et pour des durées toujours plus longues en pensant qu'il s'agit de la seule manière de combattre efficacement le crime. Résultat: un taux de détenus qui monte en flèche depuis une vingtaine d'années. Aujourd'hui, le taux de détention américain (environ 600 détenus pour 100'000 habitants) est l'un des plus élevés du monde et, selon les spécialistes, sa croissance n'a aucune raison de s'atténuer ces prochaines années. Les choix III et IV sont certainement très rares, puisqu'il est généralement admis qu'un récidiviste doit être puni plus sévèrement qu'un délinquant primaire. Si vous adhérez à ces trois affirmations (colonne V), vous commettez une erreur de logique. En effet, si l'on admet que la prison est une école du crime (1) et qu'il faut personnaliser la peine (2), on est forcé de tenir compte d'une peine privative de liberté antérieure comme étant une circonstance atténuante à la suite d'une récidive (colonne VI) et non pas comme une circonstance aggravante! Si l'on ne désire pas en arriver à une telle extrémité, il est donc nécessaire de considérer soit que la personnalisation de la peine n'a aucun sens (colonne VII), soit que la prison n'est peut-être pas si mauvaise qu'on veut bien le dire (colonne VIII) Absurdité logique ou logique absurde?
«Dans cette humanité centrale et centralisée, effet et instrument de relations de pouvoir complexes, corps et forces assujettis par des dispositifs d'"incarcération" multiples, objets pour des discours qui sont eux-mêmes des éléments de cette stratégie, il faut entendre le grondement de la bataille» (Michel Foucault, Surveiller et punir, phrase finale).
André Kuhn
1 André Kuhn est aussi responsable des applications multimédia de l'Association Pénombre. |