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LUMIERES SUR LA VILLE

(Février 1995 - numéro 6)

 

Les lectures de Clara Halbschatten

Je vous écris à nouveau de mon nid d'aigle. Il y a beaucoup d'agitation autour de moi: mes neveux et nièces profitent de la maison pour la saison des sports d'hiver. Il faut dire que nous sommes à un jet de boule de neige des pistes. Mais j'ai beaucoup de mal à garder un semblant d'ordre dans mes papiers, et j'espère n'en égarer aucun.

Vous avez tous été si gentils avec moi. Alors, va pour une chronique épistolaire, puisque vous en êtes d'accord, mais vous ne vous débarrasserez pas pour autant de moi, et je compte bien participer à vos réunions et venir à Paris régulièrement, tant que me le permettra ma santé. Merci encore de m'avoir accompagnée jusqu'à la gare l'autre soir. Je revois encore ce pauvre Pierre (*) suant sang et eau en portant ma valise pleine de livres, parmi lesquels ceux que je vais vous citer, et ironie du sort auxquels il a collaboré.

 

Libération sans retour?; A. Kensey et P. Tournier, ed. ministère de la Justice, 1994

Après Le retour en prison, Annie Kensey et Pierre Tournier ont écrit de conserve cet ouvrage. On aura remarqué la poésie des titres. «Ce qui se conçoit bien, s'énonce clairement», et, ajouterais-je, «avec élégance». Libération sans retour? continue et approfondit la démarche de ces deux chercheurs du Ministère de la Justice: quel est le sens de la "récidive"? Comment calculer un taux qui ne soit pas un chiffon rouge agité mais ait une véritable valeur et éclaire sur le rôle et les conséquences d'un séjour en prison, et plus généralement sur le comportement pénal de notre triste espèce humaine, lorsqu'elle a été incarcérée. Un conseil: avoir lu la première étude pour bien mesurer l'intérêt de celle-ci. Un souhait: qu'il en paraisse bientôt une troisième.

 

Les comptes du crime; Ph. Robert, B. Aubusson de Cavarlay, M.-L. Pottier, P Tournier, L'Harmattan, coll. Logiques sociales, 1994

Les auteurs font partie du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), laboratoire dont on ne dira jamais assez l'opportunité et la pertinence es travaux. En effet, cet ouvrage s'est enfin chargé «de réunir [les statistiques sur la délinquance] de manière ordonnée, d'en faciliter l'accès, de dispenser de la quête hasardeuse de sources fragmentaires et souvent énigmatiques». Réunir ces chiffres est déjà une entreprise louable, mais ce qui l'est davantage c'est l'effort fait ici de les mettre en perspective et de comparer les sources d'informations. «Les chiffres volent, mais leur signification est souvent douteuse», assurent-ils. On croirait entendre des membres de notre association…

 

Pierre Clavel nous signale une tribune de Jean-Jacques Dupeyroux, publiée dans Libération (17 janvier 1995) et intitulée Le rapport Minc, une nouvelle trahison des clercs. Il s'agit d'un rapport élaboré par une commission du plan, présidée par Alain Minc, sur la France de l'an 2000. Le texte du professeur Dupeyroux aurait mérité d'être publié in extenso dans Pénombre. Il montre, à l'aide de différents exemples concrets concernant l'éducation, les salaires et la fiscalité, comment on peut trouver, sous des signatures illustres, toute une série de contrevérités statistiques. Celle-ci par exemple selon laquelle «Notre Université n'a pas les moyens de s'offrir 350'000 étudiants en psychologie, soit plus que le nombre total de psychologues en activité (p.145)». Et J-J Dupeyroux de commenter: «Fâcheuse coquille imputable à l'imprimeur? Vérifications faites pas du tout! Au demeurant, lors de son "Heure de Vérité", si l'on peut dire, Alain Minc a repris cette bouffonnerie que des millions de gogos ont dû prendre pour argent comptant. Précisons que le nombre des étudiants en question est de l'ordre de 50'000 et non de 350'000. C'est avec de telles affabulations que l'on alimente le "populisme" des cafés du commerce.»

Vous allez voir comme la vie est curieuse. Lorsque j'étais professeur de mathématiques à Rouen, j'ai eu comme élève - je peux bien le dire aujourd'hui: un peu turbulent - Pierre Duriez. Il est à présent sociologue et adhérent à Pénombre. Ce garçon m'envoie un mot pour signaler deux ouvrages, dont la presse a déjà amplement fait état, mais que bien entendu je recommande avec lui: Arithmétique de l'homme de Jacques Véron aux éditions du Seuil, et Histoire universelle des chiffres de Georges Ifrah aux éditions Bouquins.

Ma longue carrière dans l'enseignement des mathématiques a-t-elle été utile à quelque chose? C'est une question où la nostalgie le dispute à l'amertume. Et voyez, aucun de mes neveux ne montre d'intérêt pour le sujet. Ils rient, ils chantent, et ont prévu pour ce soir une fondue. Ciel.

 

(*) Pierre Tournier, NDLR