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IL N’Y A PLUS DE JEUNESSE

(Novembre 2000 - numéro 23)

 

Vieillir ou mourir idiot

L’ANNÉE 2000 a inspiré à Libération une série consacrée à "40 chantiers pour un nouveau siècle". Le numéro du 22 avril consacre quatre pages au thème du vieillissement de la population, dont un article central mêlant des données statistiques, une présentation de la vie quotidienne dans un ensemble de bâtiments HLM de Mérignac (Gironde) qui privilégie la mixité générationnelle et les services aux personnes très âgées maintenues à domicile, ainsi que des éléments d’une étude PAQUID (quid sur les personnes âgées) réalisée sous la direction du professeur Jean-François Dartigues, épidémiologiste à l’unité 330 de l’INSERM à Bordeaux.

 

Lu dans le journal

Le thème est passionnant et plutôt bien traité, mais la présentation de l’information chiffrée fait perdre quelque crédibilité au contenu. Extraits.

En introduction : "En l’an 2020, les plus de 60 ans seront plus nombreux que les plus de 20 ans”. Peut-être était-ce "plus nombreux que les moins de 20 ans" ? Mais cela ne fait qu’annoncer trois données de la recherche précitée.

Premier extrait : "L’étude PAQUID a permis de mettre en évidence un certain nombre de déterminants sur lesquels il est possible d’agir. Les plus de 65 ans dotés du certificat d’études vivent entre cinq et sept ans plus longtemps que les autres, ce qui tendrait à prouver que le niveau d’éducation ralentit le processus de vieillissement."

Les lecteurs de Pénombre connaissent les débats sur les liens de causalité en épidémiologie. J’avais cru comprendre tout simplement que les personnes exerçant une activité professionnelle intellectuelle exposaient moins leur santé que les travailleurs manuels affectés à des travaux pénibles. Les enseignants, qui par principe, doivent avoir leur certificat d’études, font partie des personnes qui bénéficient d’une des plus longues espérances de vie après 65 ans. Alors, est-ce le niveau d’éducation ou plutôt le métier exercé et le mode de vie induit qui ralentissent le processus de vieillissement ?

Deuxième extrait : “De même, ceux qui vivent en couple présentent apparemment moins de risques de développer la maladie d’Alzheimer, tout comme ceux qui ont une consommation modérée de vin (deux à trois verres par jour).”

Enfin un modèle rassurant. "Germaine, on ne se sépare plus, et remets-moi un p’tit verre pour la longue route que l’on va avoir à faire ensemble !"

Troisième extrait : "La vie active et en particulier les activités de loisirs sont très importantes. Le jardinage, le bricolage et les voyages font fonctionner le cerveau en obligeant à planifier et donnent du plaisir. En cumulant ces trois activités, on court cinq fois moins de risques de développer la démence.” Cinq fois moins… Mais tout cela est épuisant ? Et si on le fait en couple, avec deux ou trois verres de vin par jour ?

Quatrième extrait : "5% des plus de 65 ans sont victimes de la maladie d’Alzheimer. La probabilité est de 23 % pour une femme d’Europe qui atteint 65 ans et 9 % pour un homme. Une femme sur quatre, un homme sur dix (grâce à leur mortalité précoce), explique le professeur Dartigues.” Relisons tranquillement. Les femmes ont une durée de vie plus longue, donc elles sont plus exposées à la maladie. Mais pour le reste je n’arrive pas à comprendre la logique de présentation des données, ni même leur compatibilité. A contrario, trois femmes sur quatre auront tout de même la chance de vivre plus longtemps que les hommes de leur génération et de ne pas avoir d’Alzheimer. Mais "grâce à ma mortalité précoce" prévisible, j’ai quelques chances ne pas mourir idiot…

 

Retour aux sources

Il ne suffit pas d’être un lecteur insatisfait. Une rapide enquête nous fournit un peu plus d’éléments que chacun pourra apprécier, car l’étude PAQUID est présentée avec ses principaux résultats sur le net à l’adresse http://www.nfgr.com/edu/paquidfr. Elle a pour objectif d'étudier le vieillissement cérébral et fonctionnel après 65 ans, d'identifier les sujets à haut risque de détérioration physique ou intellectuelle chez lesquels une action préventive serait possible. Elle s’appuie sur une cohorte de 4'134 personnes âgées en Gironde et en Dordogne, suivies depuis 1988 et jusqu'en 2003 au moins. Il s’agit donc d’un travail scientifique de très haut niveau, particulièrement important, et il faut remercier les auteurs de rendre ce travail facilement accessible.

Les résultats présentés par l’équipe relèvent effectivement, comme le soulignait Libé, que “le fait d’atteindre le niveau du certificat d’études est associé à un risque moindre de démence ou de MA (maladie d’Alzheimer)… Les activités sociales et de loisirs sont également liées au risque de démence. Nous avons ainsi montré que le fait de jardiner, de voyager, de tricoter et de bricoler était associé à un risque moindre de démence alors que d'autres activités n'y étaient pas liées (comme la lecture, les jeux de société ou la garde des petits enfants)… Ce sont en fait les activités qui nécessitent la planification des tâches et l'initiative qui paraissent associées à un risque moindre de démence.” Heureusement que Libé n’a pas mis en exergue ce point. Affirmer en effet une ligne de partage démontrée, par exemple, entre le bricolage et le tricot comme facteur de diminution du risque de MA, par opposition à la lecture et aux jeux de société, paraît surréaliste.

Ceux obtenus relativement à la consommation d’alcool sont présentés comme "surprenants et justifiant des études complémentaires pour rechercher le mécanisme d’un éventuel effet protecteur du vin.” Par exemple : "Une consommation modérée de vin initiale est associée à un risque 5 fois moins élevé de démence incidente à trois ans.” Libé a été plus prudent en parlant de "présentent apparemment moins de risques de MA".Reconnaissons que les auteurs de l’enquête se posent nombre de questions, mais bien entendu, les lobbies du vin ont immédiatement utilisé ces résultats mettant en exergue le lien, "établi scientifiquement" entre vin et santé dans la prévention de la MA, information que l’on retrouve sur plusieurs de leurs sites.

 

Vieille lune

Conclusion générale des auteurs de la recherche : "ces résultats confortent le caractère multifactoriel de la pathologie démentielle et de la MA. Il est intéressant de noter que bien que les prévalences d'exposition aux facteurs de risque varient considérablement entre les pays concernés par EURODEM, les taux d'incidence de démence et de MA sont tout à fait similaires."

La remarque conclusive, parfaitement équilibrée, paraît cependant contredire ou, à tout au moins, considérablement relativiser nombre de liens de causalité présentés par ailleurs, et poser plus de questions que l’enquête n’en résout. Et si les taux d’incidences sont similaires quels que soient les modes de vie, l’explication centrale n’est-elle pas génétique ? La notion de pays a-t-elle un sens, les habitudes culturelles de consommation, par exemple d’alcool, ne sont-elles pas très différentes selon les régions, et ce qui peut être constaté pour une population particulière du sud-ouest est-il significatif pour d’autres ?

Les résultats de l’étude sont disponibles sur de nombreux sites, vu leur intérêt. Par exemple, sur le site de la Fondation pour la recherche, en cherchant une explication sur les causes de la maladie d’Alzheimer, on trouve, à partir des mêmes données, une synthèse qui paraît limpide. Sous le titre "quelques facteurs semblant offrir une protection", l’étude PAQUID y est présentée comme "venant de démontrer un lien (et non pas une relation de cause à effet) entre une consommation modérée de vin (moins d'un demi-litre par jour) et la diminution du risque de développer une MA." Une telle association existerait également pour la bière, ce qui suggère que l'effet doit être attribué à l'alcool.

Les auteurs de cette étude qui ne cachent pas leur surprise estiment qu'une seule leçon peut raisonnablement être tirée de ce résultat : les personnes âgées qui boivent modérément du vin peuvent continuer à le faire car cette pratique semble réduire leur risque de démence. L'étude PAQUID montre par ailleurs que les sujets qui gardent une activité intellectuelle ou manuelle (voyages, bricolage, jardinage...) sont moins exposés au risque de la maladie.

En réalité, cette enquête suggère qu'une bonne hygiène de vie et la capacité à profiter avec modération des plaisirs de la vie constituent des facteurs de protection vis-à-vis de la démence comme probablement vis-à-vis d'autres affections.

Ce qui est en cause dans cette affaire, ce n’est pas l’intérêt ni la qualité de l’enquête, mais la difficulté de présenter des résultats de recherche, qui par définition sont complexes et impliquent une méthodologie que l’on ne peut constamment exposer en détail. Mais la dernière synthèse évoquée paraît un bon modèle : "Lien et pas relation de causalité… Une bonne hygiène de vie est meilleure pour la santé…” En fin de compte, tout cela paraît parfaitement de bon sens et banal tout à la fois. Cette conclusion radicale-socialiste valait-elle la peine que nous nous fatiguions tous autant le cerveau ?

 

Jean-Paul Jean