|
||||||||||||||||||||||||
Novembre 2000 - numéro 23 [Table des matières]
EDITORIAL LA France vieillit, nous laura-t-on assez dit. "La France ridée", "papy-boom" et autres "panthères grises", on narrête pas de nous annoncer que le nombre de personnes âgées va croître. Personnes âgées, tiens ! voilà une curieuse litote. On ne désigne plus les gens que par des adjectifs : les professeurs sont devenus des enseignants, les savants des scientifiques, les pauvres des exclus, les vieux des aînés. Vieux nest pas politiquement correct. Cest péjoratif. Jai pourtant le souvenir dune nouvelle dAlphonse Daudet intitulée Les vieux, une adorable nouvelle fleurant bon le soleil, lencaustique et les confitures. Parmi le cortège de chiffrages qui nous content et nous comptent le vieillissement national, Population et Sociétés (mars 2000), commentant le dernier recensement et les résultats de lInsee, nous apprend que ce vieillissement est inexorable : entre basse natalité et allongement de la durée de vie. Pourtant, le progrès de celle-ci se ralentit un peu : naguère, elle gagnait "un trimestre par an" ; ce ne serait plus que quelque deux mois par an. Mais enfin, ça progresse toujours. Ainsi, les "65 ans ou plus" sont presque 16% aujourdhui : ils seraient 20,6 % dans vingt ans. Rendue là, je me dis : est-ce que ça veut dire quil y a de plus en plus de vieux ? Quest-ce, au juste, quun vieux ? Lautre jour, mon parrain fêtait ses 60 ans. Je le complimentais avec respect, moi qui nen ai pas même la moitié. Mais, je lai trouvé tout guilleret. Il venait de lire dans une revue que nous sommes programmés, physiologiquement, pour 120 ans. Il ma dit : tu vois, jen suis tout juste à la moitié ; et, compte tenu de lexpérience de mes erreurs passées, ça me laisse encore des perspectives prometteuses. Il exhibait un graphique tiré de la revue en question, où on voyait la courbe de survie, au fil de lâge, dune génération née en 1850, dune autre née en 1900, etc. jusquà nos jours. De lune à lautre, la courbe se décalait et le dessin suggérait en effet quelle se rapprochait dune forme rectangulaire : une forme idéale où tout le monde vivrait jusquà 120 ans (et, mourrait en bloc une fois ce terme atteint). Ma grand-tante Clara Halbschatten était bien sûr à cet anniversaire. Ragaillardie par son séjour dans les Alpes, après son accident de lété dernier, elle sachemine vers son centenaire : prudente envers les courants dair mais toujours vive et alerte. Je lui rapportai la vantardise de mon parrain. Cest très vrai, me dit-elle ; mais limportant nest pas le nombre dannées de vie, mais létat de santé. Je te montrerai une statistique, que je ne sais pas par cur, qui montre que le nombre dannées en bon état augmente tout pareillement. Mais alors, Tante, vous voulez dire quune personne qui a aujourdhui, mettons, quatre-vingts ans nest réellement pas plus vieille quune qui en avait septante au milieu du siècle ? Elle est même plus jeune ! Tiens, regarde. Nous étions dans la bibliothèque et, sur une étagère se trouvaient quelques récents numéros de la revue Futurible. Elle en ouvrit un (sa capacité à avoir repéré les publications les plus variées ma toujours fascinée) et me montra la critique du dernier livre de Peter Drucker. Je soupçonne que cest un vieux copain de Tante Clara. Il a 90 ans et vient encore de publier un livre. Lauteur de la critique relève quil en sort un par an, à son âge ! Et quil y a à chaque fois quelque chose de neuf. Il rapporte que "79 ans correspond en espérance de vie à 65 ans en 1936, date à laquelle les États-Unis, les derniers en Occident, adoptèrent un plan national de retraite." Et lauteur en conclut tout de go que "dans les 20 ou 30 ans qui viennent, il va falloir repousser à 79 ans lâge de la retraite." Je suis rentrée chez moi toute troublée et, non pas comme Mademoiselle Cunégonde remplie du désir dêtre savante, mais ayant le sentiment davoir acquis une science nouvelle, qui mannonçait, à peine sortie de ladolescence, une très longue jeunesse. Pour en revenir à la statistique de lInsee : est-il exact de mesurer un prétendu vieillissement de la population en se fixant sur lâge ? La vieillesse est-elle relative ? De même que lInsee fixe conventionnellement un seuil de pauvreté à la moitié du revenu médian, faudrait-il, par convention aussi, fixer un seuil de vieillesse au double de lâge médian ? Me revient alors une formule de Jean-Didier Vincent (quil me pardonne, je ne sais plus dans quel livre) : "est vieux celui qui ne construit plus son avenir." Jimagine une enquête, où lon demanderait aux gens : construisez-vous votre avenir ? Oui, non : cochez la bonne mention. Et lon en tirerait un pourcentage. Que lon comparerait dune époque à lautre et dun pays à lautre. Enfin ! on saurait ce quest une nation de vieux...
Mélanie Leclair
Table des matières Il ny a plus
de jeunesse Prisme Mille feuilles Risque chronique Courrier des lecteurs Eco et stat, par J. L. Charlier
|