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PRISME

(Novembre 2000 - numéro 23)

 

Blacks-Blancs-Beurs et Bleu Blanc Rouge

UNE étude récente du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur les chaînes hertziennes1 concluait, conclusion largement reprise par la presse (Le Monde du 21-22 mai, La Croix du 22 mai…), "que ces chaînes donnent une faible représentation (c’est moi qui souligne) aux “minorités visibles” (Noirs, Maghrébins/Arabes et Asiatiques)." Cette étude a été réalisée à la suite de la réception par le CSA du Collectif Égalité créé et présidé par la romancière Calixthe Beyala, "dont l’objet consiste à dénoncer le manque de représentation (c’est moi qui souligne) de la société multiculurelle à la télévision française."

Mais, qu’est-ce qu’une bonne représentation ou une représentation correcte ? Ce problème se pose depuis toujours en politique dans les démocraties, où on le résout généralement par une représentation proportionnelle. Ainsi, en France, le principe de base est que le nombre de députés par département est fonction directe de sa population. Avec une entorse, cependant, pour la dizaine de départements les moins peuplés, qui, compte tenu de l’effectif total des députés, se retrouverait avec un seul2 – ce qui n’autoriserait pas la représentation éventuelle de la minorité – à qui la loi en a donc attribué deux.

Ainsi, la Lozère, département le moins peuplé, élit deux députés, soit un pour 37 000 habitants, alors que Paris, département le plus peuplé, en élit 21, soit 1 pour 100 000 habitants. La Lozère est moins représentée au Parlement que Paris, si on considère le nombre de ses députés, mais, elle est sur-représentée, si on considère le nombre de ses députés par rapport au nombre de ses habitants. On voit donc que la représentation, politique ou autre, est un concept ambigu, puisqu’il peut aussi bien s’agir de présence que de représentativité.

De quoi s’agit-il dans le cas du CSA ? Tous les chiffres du rapport, et ils sont nombreux (ils portent sur la semaine du 11 au 17 octobre 1999), mesurent seulement la présence. On apprend ainsi que les minorités visibles (MV) sont 6 % chez les professionnels, 11% chez les invités ou participants, 6 % dans le public… Qu’en conclure ? On vient de voir, que ce qui importe, ce n’est pas la présence, mais la représentativité et qu’une faible présence peut aller de pair avec une sur-représentativité.

Comment mesurer cette représentativité des MV à la télé ? Il faudrait, pour cela, connaître les pourcentages de ces MV dans la population totale de la France. Cela n’a jamais été fait et ne le sera sûrement jamais. En effet, la tradition française rejette le communautarisme à l’anglo-saxonne, comme le montrent, par exemple, les réactions très négatives des grandes associations antiracistes, MRAP et LICRA, face à la marche du peuple noir du 20 mai à Paris.

À supposer, cependant, que les pourcentages des diverses MV de la population soient connus, comment faudrait-il en tenir compte ? Si quatre inspecteurs de police tiennent la vedette dans les séries télévisées, comment obtenir une représentativité correcte, et des Blancs et des Noirs et des Maghrébins et des Asiatiques, si aucune des trois MV n’atteint 25 % dans la population, ce qui est manifestement le cas ? À moins de prendre un inspecteur dans chacun des quatre groupes…

Trêve de plaisanterie ! La société française relève de plus en plus d’origines diverses, cela doit se refléter à la télé et ailleurs, mais sans esprit de système, sinon la majorité non visible pourra aussi se plaindre de sa sous-représentativité dans le foot et dans la musique-jeunes3, activités qui occupent une large place dans les médias en général.

Je suis un peu étonné de ce que les militants de la cause en question se focalisent sur la télé, où les MV sont loin d’être absentes, alors que dans le monde politique leur manque de représentativité est criant. Or, dans ce domaine, elle ne dépend pas d’un directeur ou d’un chargé de programme, mais de nous tous.

 

Alfred Dittgen

 

1 Présence et représentation des "minorités visibles" à la télévision française. Synthèse générale, Conseil supérieur de l’audiovisuel, Étude coordonnée par Marie-France Malonga, mai 2000, 33 pages.

2 Cf. Lévy M., 1986, Le nombre des députés, Population et Sociétés, n° 199.

3 L’étude du CSA signale que les personnages des vidéo-clips (émission M comme Musique de M6) sont à 77 % des MV.