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COURRIER DES LECTEURS (Novembre 2000 - numéro 23)
Eco et stat - Amour, table et portable
Votre origine (pénal nombre) rappelle celle du Belge Louis-Adolphe Quetelet (1796-1874), considéré comme un des pères de la Statistique. Lui aussi a commencé sur les données du ministère de la Justice (1835) et a publié un Essai de physique sociale (à partir duquel il a "créé" l'homme "moyen") avant de créer le Congrès international de statistique auquel ont participé notamment les Bertillon père et fils. Mais au delà de l'application de la statistique aux sciences humaines, je voudrais faire un plaidoyer (ben tiens !) pour une sémiotique statistique qui devrait s'inscrire dans votre démarche. Depuis des années, suivant en cela mon maître, le Professeur Albert Landercy, recteur de l'Université de Mons-Hainaut (Belgique), je souhaiterais que la statistique soit enseignée en tant qu'outil de décision socio-économico-etc., mais plus sous son aspect acte de communication que sous celui de la mathématique. Je prétends qu'il y a trois statistiques. La première élabore les outils mathématiques et formulatoires (quelle que soit l'école: théorie des ensembles, (néo)baysienne, laplacienne...) et qui, tout indispensable qu'elle soit, est celle qui rebute le plus, surtout les non-mathématiciens car, dans celle-ci, la connaissance et la maîtrise des outils mathématiques sont indispensables. Lorsque le cours de statistique en première candidature est donné par un spécialiste de cette première statistique, le rejet est très fort. La deuxième est celle des statisticiens de terrain : ceux qui élaborent des plans expérimentaux et qui choisissent les outils de la première statistique. Elle est déjà plus abordable que la première, car, à la limite, la partie calcul est prise en charge par les logiciels spécialisés. Ses concepts devraient faire l'objet d'une diffusion très large dans tous les départements universitaires, même dans ceux qui croient qu'ils n'en ont pas besoin (par exemple, les philologues qui oublient qu'une analyse de contenu se réfère, elle, à une analyse statistique du document). Une telle formation est nécessaire à tous ceux qui veulent lire intelligemment un article scientifique, avec un esprit critique. Une approche de ce type, qui étudie les outils en tant que tels (pourquoi utiliser cette technique pour ce plan afin d'arriver à ce résultat-ci), est fondamentalement pragmatique, et la statistique, au lieu d'être le cours DCA est comprise comme un utilitaire. Mais, la troisième me paraît plus importante encore: fondée sur les précédentes, elle a pour objet de présenter les résultats, généralement sous forme synthétique (affirmations significatives, tableaux complexes, diagrammes). C'est elle qui devient statistique décisionnelle avec tous les risques liés au sens que tant l'émetteur que le récepteur vont lui donner, le problème venant du fait que ce sens est différent de l'un à l'autre. En tant qu'outil de communication, elle en possède tous les biais. C'est ici que la sémiologie (cf. Umberto Eco notamment) peut apporter un aide précieuse : quel est le sens de l'information apportée par les nombres et leur représentation littéraire ou graphique ? Les décideurs (politiques, judiciaires, médicaux...) font confiance aux résultats... mais les comprennent-ils correctement ? Sont-ils suffisamment critiques ? Mais ont-ils la formation qui leur permettrait de l'être ? N'y-a-t-il pas le risque que la confiance soit mal placée ? Déjà le mathématicien Poincaré, à propos du principe de la normalité des erreurs (la fameuse courbe de Gauss-Laplace) disait : "Tout le monde y croit cependant, car les expérimentateurs s'imaginent que c'est un théorème mathématique, et les mathématiciens que c'est un fait expérimental."
Jean-Lambert Charlier
Peut-être les lecteurs de Pénombre ont-ils lu comme moi ce petit entrefilet dans Le Monde du 4 octobre 2000. À ceux à qui cela aurait échappé, je voudrais signaler ce passage de ma rubrique favorite (En vue de Christian Colombani). "Si plus de la moitié des Allemands laissent leur portable allumé pendant lamour, à table, le quart dentre eux préfère léteindre pour ne pas être dérangé, daprès un sondage de la revue Focus." Certes ce plus de la moitié peut représenter 51% des Allemands, ou bien les deux tiers, ou encore 90% Cependant on peut faire lhypothèse que si ce pourcentage sétait rapproché de 60%, le rédacteur naurait pas manqué de mentionner que presque les deux tiers des Allemands . Si donc ce plus de la moitié représente, disons 55%, on peut réécrire cet entrefilet de la façon suivante : "Si le quart des Allemands préfère éteindre leur portable lorsquils sont à table, presque la moitié dentre eux font de même pendant lamour, pour ne pas être dérangé." Limpression donnée est tout à fait différente. Comme quoi il ne faut pas désespérer des Allemands, même équipés dun portable. Cétait ma contribution à la construction de représentations européennes positives. Si javais le temps jirais vérifier ces données auprès de la revue Focus, qui a peut-être posé les mêmes questions aux femmes. Ce serait intéressant, non ?
Marie-Danièle Barré
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