Lettre d'information de Pénombre
association française régie par la
loi du 1er juillet 1901 |
DANS SON OUVRAGE intitulé
« La dictature des syndicats » (Ed. Albin Michel), Bernard
Zimmern présente un tableau dans lequel il apparaît que
le nombre de décès par accidents impliquant des trains
est en Grande-Bretagne beaucoup plus faible qu’ailleurs en Europe.
En moyenne, sur neuf ans (1990-1998), on aurait ainsi 45 décès
outre-Manche contre 150 en France. Selon l’auteur, qui comme
polytechnicien sinon comme énarque est censé savoir
traiter les chiffres avec une objectivité sans faille, l’écart
entre les pays reste important, même si l’on prend soin
de ramener le nombre de tués au nombre de kilomètres
parcourus.
Pour un membre de Pénombre sensible comme il se doit à
l’usage social des chiffres, ces statistiques ne laissent d’étonner.
Il y a fort à parier que dans le « conscient »
collectif des Français, c’est l’idée inverse
qui prévaut. Il est en effet de notoriété publique
que le libéralisme échevelé des Anglais a conduit
à la détérioration des services publics. D’où
il découle naturellement que les accidents ferroviaires graves
doivent y être plus nombreux.
A priori, il me paraît superflu de mettre en cause les séries
de chiffres publiées. Elles proviennent d’Eurostat. Certes
des erreurs sont toujours possibles, mais s’il y a eu des problèmes
de définition (quid des personnes qui se jettent sous un train
?), de collecte, voire de transcription des résultats, il n’est
pas possible qu’ils aient pu échapper aussi longtemps
à la perspicacité des statisticiens et de leurs utilisateurs.
On admettra qu’il est beaucoup plus facile de dénombrer
les accidentés du rail que de construire des comptes de la
santé (cf. quelques récentes publications de Pénombre…).
Deux questions à discuter donc :
-
Pourquoi, dans notre pays, des résultats
statistiques aussi clairs ne pénètrent-ils pas l’opinion
? Si tel était le cas, les partisans de la libéralisation
des services publics disposeraient d’un argument solide pour
défendre leur cause. Mais peut-être que ce raisonnement
ne porte pas s’il apparaît que les Français sont
tellement attachés au service public qu’ils scotomisent
les arguments qui pourraient brouiller la confiance qu’ils
mettent en lui (où l’on rejoint la question de l’usage
social des chiffres).
-
L’indicateur statistique est-il adéquat
? Pour juger de la qualité du service public, le nombre des
accidents mortels n’est pas nécessairement un indicateur
pertinent. La prise en compte de la vitesse moyenne serait peut-être
éclairante. Mais, s’il y a en chaque usager un statisticien
qui sommeille, une explication rationnelle se profile alors qui
nous ramène au calcul des probabilités. En effet,
comparons les deux événements à savoir «
mourir » et « arriver en retard » et mettons-nous
à la place d’un individu lambda. Le premier événement
est rare et il présente la caractéristique de ne se
reproduire jamais. Cela n’est évidemment pas le cas
du second. Car arriver trop souvent en retard rend la vie impossible.
Bernard Aubry
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