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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Novembre 2004– numéro 38[Table des matières]

 

PREJUGES

Bataille du rail

DANS SON OUVRAGE intitulé « La dictature des syndicats » (Ed. Albin Michel), Bernard Zimmern présente un tableau dans lequel il apparaît que le nombre de décès par accidents impliquant des trains est en Grande-Bretagne beaucoup plus faible qu’ailleurs en Europe. En moyenne, sur neuf ans (1990-1998), on aurait ainsi 45 décès outre-Manche contre 150 en France. Selon l’auteur, qui comme polytechnicien sinon comme énarque est censé savoir traiter les chiffres avec une objectivité sans faille, l’écart entre les pays reste important, même si l’on prend soin de ramener le nombre de tués au nombre de kilomètres parcourus.
Pour un membre de Pénombre sensible comme il se doit à l’usage social des chiffres, ces statistiques ne laissent d’étonner. Il y a fort à parier que dans le « conscient » collectif des Français, c’est l’idée inverse qui prévaut. Il est en effet de notoriété publique que le libéralisme échevelé des Anglais a conduit à la détérioration des services publics. D’où il découle naturellement que les accidents ferroviaires graves doivent y être plus nombreux.
A priori, il me paraît superflu de mettre en cause les séries de chiffres publiées. Elles proviennent d’Eurostat. Certes des erreurs sont toujours possibles, mais s’il y a eu des problèmes de définition (quid des personnes qui se jettent sous un train ?), de collecte, voire de transcription des résultats, il n’est pas possible qu’ils aient pu échapper aussi longtemps à la perspicacité des statisticiens et de leurs utilisateurs. On admettra qu’il est beaucoup plus facile de dénombrer les accidentés du rail que de construire des comptes de la santé (cf. quelques récentes publications de Pénombre…).
Deux questions à discuter donc :

  1. Pourquoi, dans notre pays, des résultats statistiques aussi clairs ne pénètrent-ils pas l’opinion ? Si tel était le cas, les partisans de la libéralisation des services publics disposeraient d’un argument solide pour défendre leur cause. Mais peut-être que ce raisonnement ne porte pas s’il apparaît que les Français sont tellement attachés au service public qu’ils scotomisent les arguments qui pourraient brouiller la confiance qu’ils mettent en lui (où l’on rejoint la question de l’usage social des chiffres).
  2. L’indicateur statistique est-il adéquat ? Pour juger de la qualité du service public, le nombre des accidents mortels n’est pas nécessairement un indicateur pertinent. La prise en compte de la vitesse moyenne serait peut-être éclairante. Mais, s’il y a en chaque usager un statisticien qui sommeille, une explication rationnelle se profile alors qui nous ramène au calcul des probabilités. En effet, comparons les deux événements à savoir « mourir » et « arriver en retard » et mettons-nous à la place d’un individu lambda. Le premier événement est rare et il présente la caractéristique de ne se reproduire jamais. Cela n’est évidemment pas le cas du second. Car arriver trop souvent en retard rend la vie impossible.

 


Bernard Aubry