Lettre d'information de Pénombre
association française régie par la
loi du 1er juillet 1901 |
Mars 2005 numéro 39[Table
des matières]
CHRONIQUE TETES BLONDES
Maman, les petits bateaux... |
Ma fille entre cette année
au CP. Chaque quinzaine, elle ramène à la maison un
petit classeur dans lequel on trouve les divers travaux, sous forme
de fiches, effectués en classe.
Cette quinzaine, on y trouve le document intitulé « problèmes »
(reproduit ci-dessous). À remarquer, ce document est le seul
qui porte une note (les autres indiquent seulement l’appréciation
de la maîtresse sous la forme d’un visage souriant ou
faisant une grimace, voire par l’inscription « vu »).
Compte tenu de la note (4 sur 10), je regarde de plus près
ce « problème » dont le sous-titre indique
qu’il s’agit de « sélectionner des informations
correspondant à une question » et de « répondre
à partir d’une image ».
La première question « combien y a-t-il d’enfants
sur l’image ? » est finalement plus compliquée
qu’elle ne paraît. En effet, ma fille répond 8,
la maîtresse 7. Qui a raison ? Je commence, dans un premier
temps, à interroger ma fille et m’aperçois, comme
je le soupçonnais par avance :
-
qu’elle sait bien compter jusqu’à
8 (et donc a fortiori jusqu’à 7),
-
qu’elle a compté le bébé
dans la poussette (son bras étant visible)(1).
La suite est intéressante.
Au retour du week-end, ma fille, ayant entendu la discussion entre
ses parents autour du « problème », interroge
la maîtresse lui disant que ses parents comptent comme elle
8 enfants, que le bébé est un enfant… La maîtresse
lui rétorque que non, un bébé n’est pas
un enfant !
D’où deux questions :
1- qu’est-ce qu’un enfant ? On ne pourra répondre
à la question du problème que lorsque l’on aura
répondu à cette question préalable.
2- qu’évalue-t-on au travers d’un tel exercice ?
Commençons par la première de ces questions. Le dictionnaire
Robert indique qu’il s’agit d’un « être
humain dans l’âge de l’enfance » . Reportons-nous
donc à « enfance » : « Première
période de la vie humaine, de la naissance à l’adolescence
» . Ma fille aurait-elle finalement raison ? Dois-je
lui expliquer que sa maîtresse a « tort » ?
Ou plutôt que cela est relatif, qu’on touche là
à un problème bien connu des sociologues, celui des
catégories… qui n’a pas grand’chose à
voir avec le fait de savoir ou non compter…, et que la maîtresse
serait peut-être mal à l’aise si on lui demandait
à quel âge on devient un enfant… qu’on pourrait
peut-être interroger un démographe… La tâche
me paraît compliquée… De toute façon, ma
fille ne changera pas d’avis : un bébé est
un enfant !
La deuxième question est tout aussi intéressante sachant
que l’exercice (je devrais dire le « problème »)
a fait l’objet d’une notation. Il est clair, au moins
en ce qui concerne ma fille(2), que l’évaluation
a plus porté sur l’interprétation de la notion
« enfant »(3) que sur le comptage
proprement dit. Et pourtant, cette évaluation sera bien répertoriée
dans la rubrique « mathématique » :
ma fille ne sait pas « sélectionner des informations
correspondant à une question et ne sait pas répondre
à partir d’une image ». On oubliera l’image
et les informations qu’elle permettait de lire… Toute
l’interprétation possible qui aurait, par ailleurs, été
tellement intéressante pour montrer aux élèves
toute la « peine liée aux nombres »,
sera évacuée.
On pourrait, dans le même sens, discuter des questions 3 et
5(4). Ainsi, qu’est-ce qui dit que ma fille
a raison en répondant 5 à la question 3 ? Le petit
garçon qui s’adresse au responsable (repérable
grâce à sa casquette de marin !) a-t-il payé
sa location ? Si non, ma fille a raison ; si oui, elle a
tort… Faut-il penser que la main du jeune garçon, près
de sa poche, justifie qu’il n’a pas encore payé ?
Est-ce cela « sélectionner des informations… » ?
La réponse à la question 5 découle bien sûr
de celle de la question 3 et le moins qu’on puisse dire c’est
que ma fille est en contradiction avec elle- même. En effet,
soit 5 bateaux sont loués et ils sont tous sur l’eau ;
soit 6 sont loués et l’un d’eux n’est pas
sur l’eau. Deux cas semblent donc possibles et justifiables…
La maîtresse a-t-elle admis ces deux possibilités ?
En guise de morale, une question : dois-je faire prendre des
cours de français, de mathématiques, de démographie
ou de sociologie à ma fille pour qu’elle ne redouble
pas son CP ?
Une chose est sûre : ce problème me sera d’un
grand secours pour déconstruire et reconstruire la notion de
catégories avec les étudiants…
Merci maîtresse !
Monique Dalud-Vincent
(1) Qu’aurait-elle répondu s’il
ne l’avait pas été ?
(2) Qu’en dire pour les autres ? Interprétation
différente de celle de la maîtresse ou erreur de comptage ?
Les deux pouvant d’ailleurs se compenser et parvenir in fine
à une réponse exacte (aucune justification n’étant
demandée).
(3) Et plus loin sur l’interprétation
de l’image à propos des bateaux loués…
(4) À commencer par le sens du mot « louer »
pour un élève entrant au CP qui nécessiterait
aussi une discussion…
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