--

A propos des résultats du recensement et des comptages de population d’une façon générale

Peut-on dénombrer précisément une population, choisir le 10 millionième usager ou le 50 millionième habitant ?
 

Au début de l’été 1999 les médias nous ont donné les premiers résultats du recensement de 1999, soit en particulier, l’effectif total de la France métropolitaine : 58’416’500 personnes. Ce chiffre est provisoire, donc approximatif, car il résulte du comptage des bulletins dans les mairies. Plus tard, en 2000, une fois les bulletins dépouillés à l’INSEE, celui-ci donnera un chiffre définitif, à l’unité près. Ainsi, après le recensement précédent, celui de 1990, on est passé de 56 556 0001 à 56 615 1552.

Que pouvons-nous dire de ce dernier chiffre et de celui que nous donnera l’opération de 1999 ? Une seule chose de sûre : ils sont faux ! Ils sont inexacts, parce qu’une opération de ce type, malgré toutes les précautions prises, ne peut qu’aboutir à un certain nombre d’omissions et de doubles comptes.

Alors pourquoi dépenser tant d’argent pour aboutir à des chiffres faux ? Parce qu’il vaut mieux des chiffres faux que pas de chiffres du tout, à condition que ces chiffres faux soient proches de la réalité, ce qui est le cas. A la suite du recensement de 1990, l’INSEE a fait une enquête par sondage pour estimer le degré de "fausseté". Celle-ci a donné les résultats suivants, toujours évidemment approximatifs : 960 000 personnes n’ont pas été recensées, 400 000 ont été recensées deux fois, ce qui fait donc 560 000 omissions nettes, soit 1% de l’ensemble. Autrement dit, la population de la France était plus proche de 57 175 000 que de 56 615 000. Notons toutefois que ceci n’a pas conduit à rectifier les résultats du recensement pour autant, car on ne dispose pas, et pour cause, des caractéristiques individuelles des personnes omises.

A supposer même qu’il n’y ait pas d’erreur dans le recensement, le chiffre annoncé n’est plus vrai au moment de la publication. D’où l’idée de donner des chiffres en "temps réel". C’est le cas d’un compteur au Musée de l’Homme qui indique au visiteur entrant dans l’exposition "Six milliards d’hommes" l’effectif à l’unité de la population mondiale à ce moment précis. Bien qu’il soit donné par une machine du même type que celle implantée un temps devant le Centre Beaubourg, qui donnait le nombre de secondes qui nous sépare de l’an 2000, nombre qui était parfaitement exact, ce chiffre est évidemment approximatif. En l’occurrence, il s’agit uniquement de bien préparer les esprits à une exposition remarquable.

Dans le même ordre d’idée, on détermine souvent l’époque où la population passera un certain seuil. Ainsi, d’après les chiffres de l’Onu, la population mondiale passerait le cap des 6 milliards cette année, le 12 octobre ! Mais pour le bureau américain du recensement, le passage se serait fait le 19 juillet. Ces comptes reposent sur un effectif de la Chine d’environ 1,250 milliards au début de 1999. Or, d’après certains démographes, cet effectif serait de 1,500 milliards3. S’il en était ainsi (et en acceptant les évaluations pour tous les autres pays), les six milliards auraient été déjà été atteints vers 1996 !

On fait parfois mieux, en désignant la personne qui est la énième. Ainsi, en France en 1969, quand la population a dépassé le cap des 50 millions, l’INSEE a désigné le bébé 50 millionième habitant de la France. Compte tenu de ce qui vient d’être dit des omissions dans les recensements, l’erreur était certaine.

 
L’heureux élu

De la même façon, plus récemment, le lundi 18 février 1999, la Ratp a désigné et fêté le dix millionième passager de la nouvelle ligne de métro Météor4 : Claude Dillies, fonctionnaire retraité de Vigneux sur Seine. Il est certain que, là aussi, il y avait erreur sur la personne. D’une part, le comptage a été fait évidemment à partir des tickets introduits dans les composteurs, il ne tenait donc pas compte des fraudeurs ou des personnes munies d’une carte orange qui entrent dans une station et en ressortent parce qu’elles ont changé d’idée ou parce qu’elles voulaient simplement admirer le décor. D’autre part, les responsables de la Ratp et les journalistes attendaient cette personne à une station précise, Madeleine, en début de ligne. Or, il n’y avait aucune raison que le dix millionième voyageur soit entré là plutôt que dans les six autres stations5.

C’était néanmoins sympathique et le signataire de ce texte, qui prend régulièrement cette ligne, aurait bien voulu être à la place de cette personne. Il n’aurait pas mis en cause le comptage de la Ratp, car l’heureux élu a bénéficié d’un titre de transport gratuit pour toute une année.

Alfred Dittgen
 

1. "Recensement de la population de 1990, première estimation nationale", INSEE Première n° 81, INSEE 1990.

2. "Un siècle de démographie française : structure et évolution de la population de 1901 à 1993, F. Daguet, INSEE résultats, Démographie société, 1995.

3. La population [chinoise] croît, vieilli et se masculinise, Le Monde, 16 février 1999, Dossier III.

4. Le Parisien, 9 février 1999.

5. C’est en vertu de la même rigueur scientifique et désintéressée que le 150 millième emploi jeune est un heureux jeune élu de … Lille. Martine Aubry, à la fois ministre de l’Emploi et maire-adjoint de Lille, y a célébré l’heureux événement.(Ndlr)

 
Pénombre, Octobre 1999