Et voici un nouvel épisode du feuilleton des chiffres médiatisés sur la délinquance et la criminalité.
Première partie
Dans le Monde daté du 22-23 janvier 1995, on a pu lire un article d’Erich Inciyan titré : « La délinquance et la criminalité ont faiblement augmenté (+ 0,81%) en 1994. »
On y apprenait certaines précisions. 3 913 194 infractions constatées par les services de police et de gendarmerie en 1994 ont annoncé, vendredi 20 janvier, le directeur général de la police nationale et son homologue de la gendarmerie. Ainsi 20 jours après la fin de la période d’observation, les autorités connaissaient le nombre des faits constatés, à l’unité près, et les rendaient publiques sans plus attendre ! On pourrait en conclure que les systèmes statistiques de l’Intérieur et de la gendarmerie sont particulièrement performants quand on sait que la collecte des données est en partie manuelle et que les lieux de collecte sont fort nombreux, éparpillés sur tout le territoire métropolitain. On pourrait aussi partager la satisfaction des autorités : +0,81% !
Mais en lisant l’article d’Erich Inciyan, on va quelque peu déchanter : « Pour éviter de présenter les chiffres de l’insécurité au début du printemps, autant dire en pleine élection, les ministères de l’Intérieur et de la Défense ont pris les devants en livrant des données incomplètes. Les chiffres "consolidés" du second semestre de l’année 1994 ne sont pas encore disponibles. Du moins les pourcentages livrés à la presse ne devraient connaître que d’infimes variations, assure-t-on place Beauvau. »
Cela nous amène à faire plusieurs remarques :
- Que représentent les 3 913 194 infractions constatées puisqu’il ne s’agit pas des infractions de l’année 1994. Comment ce nombre a-t-il été déterminé ? Le savoir nous permettrait de juger l’opinion avancée selon laquelle, "les chiffres consolidés" ne seront pratiquement pas différents
- "Chiffres consolidés" l’expression est nouvelle dans le langage de la statistique. Que signifie-t-elle ?
- Le ministère de l’Intérieur et celui de la Défense s’accordent à penser que l’on ne doit pas publier de statistiques au moment des élections. Si tous les ministères suivaient cet exemple, il n’y aurait plus de statistiques publiées jusqu’en mai prochain ! Silence total ! On pourrait alors discuter de choses sérieuses sans être perturbés par ces fameuses statistiques qui parlent du chômage ou de tout autre problème de société. C’est une curieuse conception du débat démocratique. Elle rappelle la loi interdisant la publication des sondages dans la semaine qui précède l’élection, elle même fort discutable.
À la question « quand doit-on publier les statistiques ? », Charles Pasqua semble répondre « au bon moment ! », le ministre étant seul juge du caractère opportun ou non de la publication.
Pierre Tournier
Pénombre, Février 1995