Il vaut mieux être riche et en bonne santé au volant d’une BMW, que pauvre et malade entassé dans le métro.
Dans le numéro 20 de la Lettre blanche, Eric Morvan, rapportait une réflexion de Christian Gérondeau à propos de la définition statistique de la pauvreté généralement utilisée : "est pauvre celui dont le revenu est inférieur à la moitié du revenu médian national : ce n’est pas une définition de la pauvreté, mais de la dispersion des revenus ; avec un tel critère le pays où il y a le moins de pauvres est le Bengladesh."
Reconnaissons qu’à partir du moment où la pauvreté est définie ainsi de façon relative, on ne l’éradiquera jamais ; on n’aura pas de peine à prouver la véracité de la prophétie du Christ "Des pauvres, vous en aurez toujours parmi vous" (Matthieu, 26,11 ; Jean, 12,8).
Les libéralités des libéraux
Ch. Gérondeau nous a fait parvenir le livre dont est tirée cette réflexion : Candide au pays des libéraux (Albin Michel, 1998). Il s’y livre à bien d’autres réflexions, qui révèlent un esprit très pénombrien. Il s’attaque ainsi à deux notions qui n’ont pas le même sens pour les statisticiens et pour l’homme de la rue : la population active, qui comprend les chômeurs, qui aimeraient sortir de leur inactivité, et le ménage, qui, contre tout sens commun, peut être constitué d’une seule personne.
Les statisticiens pourraient répondre qu’ils ont un langage propre, même si celui-ci utilise les mêmes mots que le langage courant (n’en est-il pas de même des juristes et de bien d’autres corporations ?), que leurs conventions s’expliquent, qu’elles ne sont pas propres à la France, etc. Il n’en reste pas moins que le brave peuple, qui ne connaît pas les définitions en question, peut s’étonner à bon droit, comme le dit Ch.Gérondeau que 20% des ménages en France n’aient pas de voiture et même 40% à Paris. Ces 20% et 40% qui ne comptent que sur leurs pieds et les transports en commun sont bien sûr principalement des personnes seules.
Pour Ch.Gérondeau, il s’agit de veuves âgées. C’est vrai pour la France, mais pour Paris, où il s’agit aussi de yuppies, qui n’ont pas envie de s’encombrer d’un engin qui, dans la Capitale, leur créerait plus de désagréments que de plaisir. Oubli qui s’explique car, si Ch.Gérondeau défend l’économie libérale, il prend tout autant fait et cause pour l’automobile individuelle à laquelle ne peuvent échapper que les veuves âgées1.
Tonnes de kilomètres
A propos des avantages et inconvénients des différents modes de transport, Ch.Gérondeau critique, à juste titre me semble-t-il, l’utilisation du poids transporté, alors qu’il serait juste d’utiliser le volume. Ainsi le transport des pondéreux, que les écolos voudraient transférer sur le train ou le canal, prennent moins de place sur la route que les produits légers. Ch.Gérondeau rappelle, et l’on a tendance à l’oublier, qu’un kilo de plomb prend moins de place qu’un kilo de plumes. Dans la même veine, il critique aussi l’utilisation de la tonne-kilomètre. Avec cette mesure, le fer assure 22% des transports terrestres de marchandises en France. Or, si on compare les chiffres d’affaires de ces transports, seul indicateur qui ait un sens ici, celui de la SNCF représente 3% du total.
Cela étant, au-delà de ces critiques générales difficiles à réfuter pour un tenant des transports collectifs, notre défenseur du "tout-route" critique à tout va les investissements de transport en commun. Ainsi la construction des lignes de RER D et E et de la ligne de métro 14 en Île-de-France, sensées soulager la ligne A du RER, étaient inutiles. Il était plus simple d’après lui de faire des rames de métro et de RER avec des sièges le long des parois, comme dans les autres pays du monde, donc, ce qu’il ne dit pas, de mettre davantage de gens debout.
Bains de siège
On pourrait suggérer une solution plus radicale : enlever tous les sièges (la RATP en a enlevé une partie dans les rames de la ligne A) et pourquoi pas les portes et les fenêtres pour permettre aux corpulents de faire voyager une partie de leur surcharge pondérale à l’extérieur. Trêve de plaisanterie, si mettre davantage de gens debout quand les temps de transports sont courts est acceptable (dans le métro en général), dans le RER, où les temps varient entre une demi-heure et une heure, le fait de pouvoir s’asseoir de temps à autre n’est peut-être pas un luxe.
Surtout, Ch.Gérondeau n’a jamais dû prendre le RER A. Il verrait que depuis l’ouverture des lignes nouvelles qu’il conteste, les personnes qui, sur le quai de la Gare de Lyon vont en direction du Centre, n’ont plus à attendre deux ou trois rames avant de pouvoir monter et d’être ensuite dans un entassement que l’on ne s’autoriserait pas pour des animaux.
Ce tout route amène aussi Ch.Gérondeau à un raisonnement qu’on pourrait qualifier de raisonnement bogue, car il est du même type que celui développé par certains au début de cette année : "Ce n’était pas la peine de dépenser tant d’argent pour éviter le bogue, puisqu’il ne s’est pas produit". Ch.Gérondeau dit, quant à lui, que ce n’était pas la peine de construire le TGV Paris-Lille, censé soulager l’autoroute du Nord, puisqu’il y a toujours autant de trafic sur celle-ci.
Il y a des arguments qui ne tiennent pas la route.
Alfred Dittgen
1. Ch. Gérondeau a été chargé de la Sécurité routière et est toujours très impliqué dans le transport routier : il est notamment président de l’Automobile-club de France.
Pénombre, Mars 2000