CE LUNDI MATIN, au réveil, mon sang ne fait qu’un tour. Ma radio m’annonce qu’une étude scientifique a démontré que le 23 janvier est « le jour le plus déprimant de l’année ». Nouvelle relayée le même matin par Libération, qui cite ses sources : un universitaire de Cardiff spécialiste en santé mentale. Le journal remarque que l’universitaire britannique « explique qu’il n’est pas arrivé à ces conclusions par hasard ». « Les froideurs hivernales, le temps écoulé depuis Noël, le fait que l’on ait repris le travail, que les factures des fêtes se fassent sentir, que les résolutions de nouvelle année battent de l’aile et que les perspectives de réjouissance soient maigres pour les semaines à venir, ces 6 facteurs, qu’il a transcrits dans une formule mathématique complexe, font ressortir le fait que le lundi le plus proche du 24 janvier est le jour le plus déprimant de l’année ». Le quotidien précise que le chercheur a interrogé « plusieurs centaines de personnes », puis indique que « ses conclusions sont globalement valables pour la plupart des pays européens, le Canada et les États-Unis ».
Émotion au bureau, chacun y va de son « je me disais aussi que cela n’allait pas bien aujourd’hui, et même pire qu’un (autre) lundi », etc. Après recherche de la mystérieuse étude, Pénombre est en mesure de livrer à ses chers lecteurs la fameuse formule du lundi noir de janvier :
1/8W+(D-d)+3/8xTQ+MxNA.
Avec (en anglais dans le texte, mais Pénombre ne recule devant rien, on traduit) :
W : Weather (le temps qu’il fait)
D : Debt (l‘endettement, personnel)
d : Money due in January pay (le montant de salaire restant dû en janvier)
T : Time since Christmas (le temps écoulé depuis Noël)
Q : Time since the failure to quit a bad habit (temps depuis le constat d’échec de ses bonnes résolutions de début d’année)
M : General motivational levels (les niveaux généraux de motivation – le moral des ménages, en quelque sorte ?)
NA : The need to take action (le besoin d’agir et de se bouger)
C’est évidemment complètement loufoque (bonjour les unités et l’équation aux dimensions) ! Mais l’article, plutôt bien fait (et finalement assez drôle), ne s’en cache pas. Il n’y est évidemment absolument nulle part fait mention d’un quelconque nombre de personnes interrogées ! Beaucoup plus utile : un Dr Alain Cohen du Royal College des médecins généralistes indique que les deux remèdes “initiaux” sont le sport et la lecture de livres sur la dépression. Pour le second remède, j’avoue me poser des questions, il m’a semblé que tous les écrits des spécialistes de santé mentale ne sont pas de cette veine, mais bon…
Voilà, à part ça toute cette belle science est copieusement reprise dans la presse : outre Libération du 23 janvier 2006, on a aussi pu lire l’info en français dans Le Figaro (pages société) du même jour. C’est en ligne sur e-Marrakech (cité comme une dépêche AFP, ce qui doit être le cas et la “vraie” source de tous ces papiers sérieux...), on le trouve aussi sur le Washington Times du 10 janvier 2006 (c’est la formule sans les coefficients). C’est évidemment repris par un nombre incalculable de blogs. Et encore, on n’a pas cherché très loin…
Il nous revient en mémoire que Louis XVI a été guillotiné le 21 janvier 1793… un lundi. Heureusement que Pénombre tient son assemblée générale au mois de juin et un vendredi, très loin de ces funestes mois et jour.
Collectif Pénombre
Pénombre, Mars 2006