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Cherchez l’erreur

Rappel du problème posé dans le précédent numéro : dans un article d’André Normandeau intitulé « Pour un système pénal sérieux, intelligent et taillé sur mesure en Amérique ! » et publié par la Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, (2), avr.-juin 1995, on trouve le passage suivant :

« Ces statistiques officielles (sur la criminalité, Ndr) proviennent des déclarations des victimes à la police. Elles ne sont que la pointe de l’iceberg. En effet, depuis 1970, des criminologues réalisent des « études de victimisation » sur la base de sondages, auprès d’échantillons représentatifs de la population. Or les taux de victimisation nous indiquent que près de 50% des délits ne sont pas rapportés à la police. Par crainte ou parce qu’on ne croit pas que c’est utile. Et l’on estime également qu’un autre 25% des délits ne seraient pas déclarés : ni à la police, ni dans les sondages de victimisation. Par exemple, plusieurs délits de violence conjugale et familiale. Donc, au total, il y aurait 75% de plus de délits que ce qui est rapporté officiellement à chaque année par Statistique Canada sur la base des statistiques policières ».
 

Commentaires

Il n’y a pas une erreur, mais bien trois erreurs. Au moins.

1°. Erreur numérique : la confusion entre pourcentages « en dedans » et « en dehors ». Si 25% des délits ne sont pas rapportés, même à l’enquête, celle-ci n’en connaît que 3/4. Si, sur ceux qu’elle décompte, la moitié seule est rapportée à la police, celle-ci enregistre donc 1/2 x 3/4 : soit 3/8. La réalité est donc 8/3 de la statistique policière. Soit 167% en plus, et non 75%.

2° Erreur conceptuelle : on semble croire qu’un délit est un objet parfaitement défini et, de plus, parfaitement connu des victimes. D’abord, il y a des délits sans victimes : la plupart des délits routiers, par exemple, dont une faible minorité sont repérés par la police et, qui ne sont même pas tous conscients pour leurs auteurs. D’autre part, on peut subir un préjudice et croire qu’il y a faute de quelqu’un, ce qui n’est pas forcé. Il y a des victimes sans délit.

3° Erreur documentaire : l’auteur écrit « on estime également qu’un autre 25% ». Il omet de rapporter qui est ce « on » qui sait faire cette estimation. Ce serait bien intéressant : il est déjà méritoire et délicat d’apprécier, par une enquête de victimisation, le déficit de la statistique courante. A fortiori serait passionnant de voir comment on s’y prend pour estimer le déficit d’estimation du déficit. Comme on ne nous dit pas d’où ce 25% tombe, nous pouvons considérer qu’on ne nous a rien dit et que ce dernier chiffre est dénué de toute valeur.
 

R. Padieu
 
 

Pour les amoureux de « la » formule :

D : ensemble des délits

on a D = D1 + D2 + D3 avec

 

D1 : délits rapportés à la police ;

D2 : délits non rapportés à la police mais évalués par les enquêtes de victimisation ;

D3 : délits non rapportés à la police et non déclarés dans les enquêtes de victimisation.

 

D3 / D = 1/4 => [D1 + D2] / D = 3/4

D1 / [D1 + D2] = 1/2

D1 / D = [D1 / (D1 + D2) ] x [(D1 + D2) / D] = 1/2 x 3/4 = 3/8

D / D1 = 8/3 = 2,67

D = D1 + 167% D1

 

CQFD

 
Pénombre, Août 1996