AU SORTIR DU CONSEIL DES MINISTRES du 3 octobre 2007, Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, déclarait : « Il faut sortir d’un système avec 117 indicateurs de pauvreté pour aller vers un seul et unique indicateur ». Le porte-parole du Gouvernement, Laurent Wauquiez, ajoutait : « Il faut qu’il y ait un consensus entre les différents partenaires pour établir ce ‘thermomètre’ car l’outil de mesure est central sur une question comme celle-là. C’est la première fois en France que nous sommes dans une logique de résultats dans ce domaine. » Il précise qu’il s’agit « d’avoir un seul indicateur central ciblé sur l’objectif de réduire d’un tiers la pauvreté d’ici cinq ans ».
Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples. La pauvreté n’est pas une grandeur qui se mesure comme la taille ou le poids. D’une part, il faut savoir si l’on parle de pauvreté dite « absolue », c’est-à-dire, en regardant ce que l’on a pour vivre, ou de pauvreté « relative », en comparant aux autres personnes de la société où l’on vit (*). Un « pauvre » en France est peut-être quand même dans une meilleure position qu’un habitant aisé de certains pays déshérités.
D’autre part, la pauvreté peut s’apprécier de différentes façons : en regardant le revenu, en regardant les conditions de vie, ou encore en demandant aux intéressés s’ils ont des difficultés. « Si l’on confronte ces différentes approches de la pauvreté, on constate qu’elles sont peu corrélées entre elles. En d’autres termes : si dans une population on considère successivement les 10 % de ménages ayant les plus bas revenus, les 10 % de ménages vivant dans les plus mauvaises conditions, les 10 % de ménages déclarant les plus grandes difficultés pour boucler leurs fins de mois, et si on examine la partie commune de ces trois sous-ensembles, on constate qu’elle ne recouvre que 1 % à 2 % de la population totale, et non pas un chiffre proche de 10 % comme cela aurait été le cas si ces trois mesures de la pauvreté avaient été fortement corrélées » (1).
Le piquant de la chose est que, au moment où Martin Hirsch réclame un indicateur unique pour la pauvreté, on est en train de dire qu’il était inepte de rendre compte du chômage avec un chiffre unique, car il y a là toute une palette (un « halo ») de situations diverses, intermédiaires, fluctuantes, ... : on est justement en train d’expliquer aux citoyens qu’il était abusif de donner chaque mois au journal télévisé l’évolution du chômage mesuré par un chiffre unique.
Si donc un phénomène aussi complexe et divers que la pauvreté (comme le chômage, comme la délinquance, comme l’éducation, …) ne se réduit pas à une mesure simple, s’il appelle au contraire une multiplicité d’indicateurs, en réclamer un seul reviendra à en choisir un parmi beaucoup. Choix arbitraire, forcément, qui sera peut-être de prendre celui dont l’évolution pourrait être favorable : ici, celui qu’on pourra abaisser d’un tiers sans s’occuper des autres. Ce n’est plus la mesure du résultat d’une politique, mais la politique d’un choix entre des résultats différents ! Est-ce ce que Laurent Wauquiez voulait signifier en parlant, non d’une logique de résultat, mais d’une logique de résultats ?
René Padieu
(*) Note du maquettiste : l’Union européenne retient un indicateur central (mais pas unique) de pauvreté relative par pays, « les personnes vivant avec un revenu inférieur à 60 % du revenu médian » (revenu médian calculé en tenant compte de la composition du ménage). La plupart des autres pays du monde (y compris les pays développés) présentent comme indicateur central un indicateur de pauvreté absolue comme par exemple « la part de population vivant avec moins de un ou moins de deux dollars US par jour ».
(1) : Compte rendu d’un Café de la Statistique, soirée-débat du 3 avril 2007, où la question d’une mesure de la pauvreté a été discutée.