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Chiffres et lettres

LA STATISTIQUE est une science éminemment gaie et qui n’exige aucun surmenage intellectuel, sans compter que ceux qui s’en occupent ont toujours énormément de temps devant eux pour livrer leur petit travail. Pourquoi cette longanimité des grandes administrations à l’égard de leurs statisticiens ? Voilà un problème que je ne me charge pas d’élucider. Encore une de ces mille énigmes qui déconcertent les plus clairvoyants des humains.

Chaque administration a son système de statistique, mais je crois qu’il en existe peu d’aussi curieux que celui employé à la compagnie de nos omnibus parisiens. Ainsi, par exemple, ces messieurs sont actuellement en train d’évaluer le nombre approximatif de voyageurs que leurs voitures transporteront en l’an 1900. Voici comment ils opèrent :

Prenons, par exemple, le cas de l’omnibus Batignolles - Clichy. En 1889, date de la précédente exposition universelle, ladite ligne a transporté 9 847 433,17 voyageurs.

Il est clair, disent ces messieurs, qu’en l’an 1, ladite ligne en aurait transporté 1 889 fois moins.

Et non moins clair qu’en 1900 elle en transportera 1 900 fois plus.

Il n’y a donc plus qu’à exécuter une simple règle de trois et à accomplir ce petit calcul, 9 847 433,17 X 1900 / 1889.

Un bébé de vingt mois tant soit peu précoce se tirerait facilement d’une opération aussi limpide. Et le plus curieux, c’est que les résultats ainsi obtenus sont généralement couronnés de succès. Que M. Brunetière cesse donc une bonne fois de nous raser avec la banqueroute de la science !

Alphonse Allais,
Ne nous frappons pas
 

 
Le Code général des impôts comporte déjà 5 279 articles. Ces articles étant souvent totalement incompréhensibles, la Direction générale des impôts (DGI) fournit une « documentation fiscale » pour ceux qui en auraient besoin.

En 2001, cette aide précieuse destinée donc à simplifier la vie des chefs d’entreprise atteignait 32 531 pages : 6 915 pages pour la fiscalité personnelle, 6 878 pages pour la fiscalité des entreprises, 5 104 pages pour le contrôle fiscal, 4 185 pages pour les enregistrements, 4 073 pages pour la TVA, 1 917 pages pour les impôts directs locaux, 1 849 pages pour le recouvrement et 1 610 pages pour la fiscalité immobilière. Kafka ferait aujourd’hui une belle carrière comme directeur à Bercy.

Ajoutons que ce fameux Code général des impôts de 5 279 articles qui nécessite 32 531 pages d’explications a subi, au cours de la seule année 2000, 1 234 modifications.

Thierry Desjardins,
La décomposition française


Pénombre, Novembre 2004