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Courrier des lecteurs

L’intégralité de la lettre suivante peut être consultée sur www.penombre.org. L’accueil réservé par la rédaction à la proposition (non reproduite ici) de transformer Pénombre en Paix-nombre n’empêchera pas de poursuivre le débat sur l’usage des nombre en temps de guerre.
 

Chers amis,

Frappée plus que jamais d’inquiétude sur l’avenir de notre civilisation, en ma qualité de membre - jusqu’à présent plutôt passive, il est vrai... - de notre association j’ai envie de vous soumettre une proposition.

Dans un monde sur lequel plane la menace d’une « guerre préventive », dont seuls les inconscients peuvent penser qu’ici, elle ne nous concerne pas, se contenter de dévoiler la mauvaise utilisation des nombres me paraît représenter un sous-emploi de compétences désormais rodées. Pourquoi n’irions- nous pas plus loin, en fédérant à nouveau nos efforts autour d’un projet commun, comme cela a déjà été le cas pour les élections - ayant frôlé la tragédie - de 2002 ? Un projet, cependant, qui sorte d’une présentation interne et théâtrale, pourtant jouissive, pour s’étaler, d’une manière à convenir, sur les murs de la cité.

Michael Moore, réalisateur de Bowling for Columbine, a récemment affirmé dans un interview que, face à la manière dont le gouvernement des États-Unis entretient la violence, il s’est dit un jour qu’il en avait ras-le-bol et qu’il était déterminé à l’en empêcher ! Pourquoi devrions-nous être plus modestes ?

Le projet porté par Pénombre est, dès le départ, un projet d’engagement civique : déceler et dévoiler les biais qui permettent de fonder des analyses, politiques notamment, sur des chiffres erronés - erronément construits, infondés voire inventés -, donc sur des faux-semblants. En somme, mettre de l’expertise à disposition pour que tous puissent mieux comprendre les enjeux présents derrière les discours médiatiques et politiques, voire amender les discours ou corriger les politiques.

Cet engagement indirect me paraît aujourd’hui insuffisant, dès lors que la manipulation des chiffres sert à justifier des politiques toujours plus agressives, tant sur le plan international que national.

C’est pourquoi je vous propose de mettre notre expertise au service de la promotion d’une culture et d’une action de paix, afin de faire contraste au développement protéiforme de la culture de guerre - guerre contre des nations, des groupes, des individus non conformes ou insoumis.[…]

Le mot guerre […] se décline dans un nombre croissant d’acceptions : guerre contre l’Irak, guerre contre le chômage, guerre contre la pauvreté, guerre contre la criminalité, et ainsi de suite.

Au mot guerre correspond, d’une part, l’incapacité de résoudre le problème visé et, d’autre part, la volonté d’imposer une solution correspondant à des intérêts non explicités par les énonciateurs du mot. Aussi, la « guerre » est présentée comme une nécessité et justifiée avec des données souvent chiffrées. Même à considérer qu’elles soient correctes, ces données ne représentent jamais qu’une partie des aspects, pourtant multiples, du problème et sont accommodées en fonction de la solution proposée.

Ainsi, ce n’est sûrement pas George W. Bush qui met en avant des intérêts géostratégiques pour justifier la guerre en Afghanistan et des intérêts pétroliers pour motiver sa volonté d’agresser l’Irak « à tout prix ». Pourtant, ces deux types d’intérêts se chiffrent en milliards de dollars de revenus... […]

Pouvons-nous […] nous armer de nombres pour montrer que paix internationale et paix sociale sont intimement liées, qu’il faut les penser ensemble et que, si l’on se repose sur les nombres les plus mobilisateurs aujourd’hui - les ressources économiques et financières -, leur montant global peut être décomposé autrement et utilisé différemment que dans les seules solutions que l’on prétend disponibles ? 

Maria Luisa Cesoni, janvier 2003
 

Post-scriptum : Juste après avoir terminé ce texte, j’ai lu une nouvelle qui est en résonance, me paraît-il, avec mes propos. On peut y lire : « J’ai pensé au plaisir qu’auraient les chercheurs à réduire la violence future et à assurer le confort des générations suivantes » (B. Werber, L’arbre des possibles et autres histoires, Paris, Albin Michel, 2002). Est-ce seulement une illusion d’écrivain ?

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Dans la forme, la critique [de l’article « Cathédrales englouties » (n° 31)] est justifiée. Sur le fond, il faut lire mon « unité cathédrale » comme un outil pédagogique destiné à pointer les carences de l’État. Et je dois dire que le but a été parfaitement atteint, ce qui, pour moi, était l’essentiel.

J’ai assez l’habitude des statistiques pour en mesurer, comme vous, les limites. Reste que le chercheur doit, pour être efficace sortir de la « pénombre ».

Jacques Marseille, Paris

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Sur l’article d’Alfred Dittgen « Même pour New York, l’avion, c’est plus sûr » (n° 31), deux commentaires :

J’aime bien l’idée de mesurer le risque des transports en faisant intervenir la notion du temps de parcours au lieu de la distance.

Contrairement à une idée répandue (et qui est reprise dans cet article), l’avion n’est pas le mode de transport en commun le plus sûr, rapporté au nombre de passagers-kilomètres. Il n’arrive qu’en deuxième position derrière l’ensemble « ascenseurs et escaliers mécaniques ».

Hervé Garrault

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Je lis toujours Pénombre avec le plus grand intérêt, mais parfois avec un certain retard. C’est le cas cette fois-ci avec le n° 31 d’octobre 2002. Je souhaite néanmoins réagir à l’article Stroboscopie de René Padieu (p.3). Ma remarque ne porte pas sur le fond, avec lequel je suis d’accord, mais sur le reproche adressé au ministre de l’Intérieur qui, envisageant de développer les enquêtes de victimation, « ne sait pas en revanche que de telles enquêtes se font depuis 1995 (INSEE) ». Puisqu’il s’agit d’informer complètement le lecteur, je me permets de rappeler qu’au moment où l’INSEE, en 1995, s’est enfin décidé à prendre en considération les enquêtes de victimation, le CESDIP était déjà à l’œuvre depuis une dizaine d’années, même si ses moyens ne lui permettaient pas de réaliser des enquêtes nationales annuelles. En tout état de cause, l’auteur aurait pu signaler que la première enquête nationale française datait de 1986 et qu’elle a été suivie de plusieurs enquêtes locales. C’est précisément en 1995 qu’est paru l’ouvrage rendant compte, après de multiples articles, de cette première vague d’enquêtes (Renée Zauberman, Philippe Robert, Du côté des victimes, un autre regard sur la délinquance, Paris, L’Harmattan, 1995). Il me semble que cette précision ne peut que renforcer l’argument de René Padieu et qu’elle est utile à vos lecteurs. 

René Lévy, Directeur du CESDIP

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Contrition

Nous critiquons les médias pour leurs défauts en matière d’information chiffrée. Pourtant, nous aussi, nous livrons à nos lecteurs un document qui porte souvent la trace d’une organisation collective per-fectible, toute bénévole soit-elle. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ! Il faudra invoquer autre chose pour expliquer le déplorable singulier « il » dans l’exergue du numéro 31, une citation attribuée à William Blake : « Si le soleil et la lune doutaient, ils s’éteindraient sur le champ. » Puni-tion ? Cette citation était empruntée sans le dire à Léon-Paul Fargue qui, l’ayant déjà placée en exergue à l’un de ses poèmes (La drogue), traduisait ainsi - du moins selon mon hypothèse - « humility is only doubt/ and does the Sun and Moon blot out » (W. Blake, The Everlasting Gospel). Éruption ? Bernard Lacombe dans ce numéro 31 s’interrogeait sur le nombre des genres. Doutant du genre, aurions-nous douté aussi du nombre ? À cette rubrique linguistique, nous aurions pu joindre cette citation de Roland Barthes (Comment vivre ensemble, Éditions du Seuil) : « Comme si l’homme s’activait, par ses substituts de sublimation, à reconstituer le duel, la paire, dans l’Un, car, comme le disent le corps et la grammaire, la véritable Unité est duelle ». Doit-on écrire « une paire d’yeux le regardait » ou « le regardaient » ? Trêve de contorsions. Le directeur de la publication adresse toutes ses excuses aux lecteurs de la Lettre blanche (ainsi qu’à W. Blake et L.-P. Fargue) en espérant qu’ils ou elles (les lectrices) ne douteront pas de Pénombre. Surtout après avoir lu G. Pérec :

« autre laps inopiné où l’astre pali sort nu ».

B. A. de C. (futur relaps)

 

Pénombre, Avril 2003