Nos lecteurs et adhérents auront remarqué que Pénombre ne cherche pas systématiquement à coller à l’actualité. La période électorale a certes enrichi nos échanges internes (sur les sondages entre autres, nous en reparlerons un jour) mais cette lettre ne traque pas les manipulations chiffrées électorales. Nous profitons simplement de cette période pour vous proposer une réflexion parvenue à la rédaction en 2010 et restée dans nos cartons depuis lors. Au cas où elle redeviendrait d’actualité, justement…
Les groupes politiques, au Parlement, se forment librement, par affinités, dès lors qu’ils atteignent l’effectif de quinze membres.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le règlement de chaque assemblée « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d’opposition […] ainsi qu’aux groupes minoritaires » et il est reconnu aux uns et aux autres un droit d’initiative mensuel en matière d’ordre du jour.
S’il existe des groupes « minoritaires » c’est qu’il y aurait une « majorité ». En outre, la Constitution distingue bien les groupes « d’opposition » des « minoritaires », ce qui soulève une autre série d’interrogations. Et en régime parlementaire, l’on a coutume d’identifier une « majorité » contre laquelle se construit une « opposition ». Pas simple, donc…
Comment repérer un groupe « minoritaire » ? Au Parlement, la majorité se construit au cas par cas, lors de chaque vote, ce que résume le président du Sénat, Gérard Larcher, dans un entretien à La Tribune du 20 novembre 2009 : « À chaque fois au Sénat, la majorité est à construire et à convaincre ». Et si l’expression de « majorité parlementaire » est commode politiquement et renvoie au reflet parlementaire de la réalité partisane à un instant donné, elle est par essence mouvante.
Bien sûr, l’alignement des comportements et des opinions des parlementaires sur la ligne définie par le gouvernement et le président de la République sous la Ve République renforce les lignes de partage entre les « pour » et les « contre ». Et la Constitution révisée en 2008 vient figer la situation en délimitant les groupes politiques parlementaires selon qu’ils sont réputés appartenir à l’opposition, à une minorité ou à une « majorité » supposée soutenir le gouvernement.
Mais… Et si ce dernier était minoritaire précisément ? C’est-à-dire ne s’appuyant pas sur le soutien, au moins à l’Assemblée nationale, d’une majorité absolue de députés. Après tout, ce fut le cas, de 1988 à 1993, des gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy…
Oui, mais la Constitution révisée distingue l’appartenance à un groupe minoritaire de l’affiliation à un groupe d’opposition. L’on peut donc être minoritaire et soutenir le gouvernement, afin de permettre à celui-ci d’obtenir… des majorités, ne serait-ce que « d’idées » !
Tout de même, approfondissons. En application de la révision constitutionnelle de 2008, les règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat ont été modifiés.
Au Sénat, un article 5bis prévoit que lors de sa création ou au début de chaque session, un groupe se déclare à la présidence comme groupe d’opposition ou comme groupe minoritaire au sens de l’article 51-1 de la Constitution (sic). Cette sobriété rédactionnelle, certes respectueuse de l’identité des groupes, n’est guère éclairante et ne permet pas d’avancer beaucoup plus.
À l’Assemblée nationale, plus diserte, l’article 19 de son règlement prévoit que lors de sa constitution ou à tout moment, un groupe peut se déclarer d’opposition. Et le §4 de cet article 19 précise que « sont considérés comme groupes minoritaires ceux qui ne se sont pas déclarés d’opposition à l’exception de celui d’entre eux qui compte l’effectif le plus élevé ». Voilà qui est dit... Mais qui ne paraît pas si lumineux pour autant.
Il y aurait donc, à l’Assemblée nationale, trois catégories de groupes politiques : celle composée du seul groupe « comptant l’effectif le plus élevé qui ne s’est pas compté comme appartenant à l’opposition », celle des groupes d’opposition et celle des minoritaires, le premier étant réputé soutenir l’exécutif. Ainsi, une certitude apparaît : un groupe proche du gouvernement et doté de la simple majorité relative n’est pas pour autant un groupe minoritaire, l’hypothèse correspondant aux gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy est donc réglée de ce point de vue1.
Toutefois, quid d’un gouvernement qui serait minoritaire et dont les soutiens, à l’Assemblée nationale, seraient émiettés, dispersés de manière à peu près égale entre plusieurs groupes ? Car dans ce cas, les groupes hostiles à l’exécutif, majoritaires sur le papier, arithmétiquement, se déclareraient « d’opposition », mais en ce qui concerne les autres, ceux qui obéiraient à la définition du groupe « minoritaire » donnée par le règlement pourraient n’avoir que deux ou trois sièges de moins que celui comptant l’effectif le plus élevé. Voilà une minorité qui serait, somme toute, bien relative, tout comme la majorité d’ailleurs, arrachée au cas par cas…
En tout cas, à l’examen, il résulte que le groupe « minoritaire » serait donc, lui aussi, supposé soutenir l’action du gouvernement. Appliquée à la législature actuelle (2007-2012), cette règle paraît assez simple : sont des groupes d’opposition le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et le groupe de la gauche démocrate et républicaine, le groupe minoritaire est celui du nouveau centre, cependant que le groupe de l’U.M.P., fort de la majorité absolue, est celui qui compte l’effectif le plus élevé et n’appartient pas à l’opposition2.
Une répartition plus nuancée pourrait évidemment compliquer cette taxinomie. Pour l’heure, les définitions adoptées en 2008 font apparaître que le Nouveau Centre, groupe « minoritaire » appartient… à la majorité parlementaire, bien réelle sous la législature actuelle !
On savait déjà que des gouvernements minoritaires pouvaient compter sur le soutien de majorités ; dorénavant, des groupes minoritaires du Parlement peuvent avec autant d’assurance appartenir à la majorité…
Résumons :
- un groupe politique disposant d’une majorité seulement relative mais soutenant le gouvernement n’est pas minoritaire au sens de la Constitution et des règlements des assemblées parlementaires ;
- sous-hypothèse de la précédente : un tel groupe n’est pas minoritaire alors même que ses effectifs seraient nettement inférieurs à ceux d’un groupe de l’opposition ;
- un groupe politique « minoritaire » est présumé soutenir le gouvernement, ce qui implique l’incompatibilité de statut entre l’appartenance à l’opposition et le fait de posséder un caractère « minoritaire ».
Mais comment qualifier l’attitude de parlementaires membres d’un groupe « minoritaire » ou du groupe dont l’effectif est le plus élevé hors ceux appartenant à l’opposition mêler leurs voix avec cette dernière ? (= minorité silencieuse ?)
Ou celle d’un groupe « d’opposition » bienveillant votant en faveur du gouvernement, cependant qu’un groupe « minoritaire », de mauvaise humeur, se prononcerait contre ? (= transformisme ?)
Et l’on n’ose imaginer la conjonction occasionnelle des voix d’un groupe « minoritaire » et de celles des groupes « d’opposition », produisant… une majorité absolue allant jusqu’à voter la censure du gouvernement, en dépit de la fidélité du groupe relativement majoritaire ! (= majorité agissante ?)
Une question délicate pourrait être de savoir comment les groupes se définiraient en cas de cohabitation. Opposition à qui ? Au président ? Au gouvernement ?
Finalement, être non-inscrit ne confère aucun droit spécifique mais évite assurément ces tracas identitaires, voilà de quoi cultiver le nihilisme parlementaire !
Chadanou Doubsar
Janvier 2010
1. Pendant la neuvième législature (1988 à 1993), le groupe socialiste, auquel il manquait 17 sièges pour détenir la majorité absolue, était cependant le groupe comptant l’effectif le plus élevé.
2. On notera avec intérêt qu’au début de la session 2009-2010, au Sénat, le groupe socialiste et le groupe communiste, républicain, citoyen et du parti de gauche ont déclaré être d’opposition, tandis que le groupe de l’union centriste et celui du rassemblement démocratique, social et européen, ce dernier comportant des sénateurs de « droite » comme de « gauche », se sont déclarés groupes « minoritaires ».