DANS L’UN DES BEAUX ET VASTES jardins de la ville persane d’Ispahan, il y a une pièce d’eau tout en longueur qui, telle une rivière, traverse des parterres de roses. Tout au bout se trouve un petit palais baptisé Cihil Sutun. Ce nom signifie « Quarante Colonnes ». Et de fait, ce bel édifice aérien n’est formé que d’une forêt de minces colonnes en bois qui, soutenant un toit impondérable et plat, s’élèvent en vain comme de jeunes troncs aspirant à atteindre le ciel ; quant au mur du fond, paré des couleurs de mosaïques extraordinairement délicates aux motifs d’arabesques, de fleurs et d’étoiles, il est à peine visible dans la fraîcheur feutrée du portique. Cependant, si on compte les colonnes une à une, on n’en trouve que vingt ; mais il suffit de suivre le jardinier jusqu’à l’extrême bord du bassin pour apercevoir tout au loin les vingt colonnes et leur reflet parfaitement rectiligne.
Ce nombre de quarante a toutefois une autre explication. Quand j’ignorais encore tout de l’Afghanistan hormis son nom, un ami afghan me raconta qu’il y avait dans son pays quarante variétés de raisin.
« Pourquoi quarante ?
- Quarante, dit-il, signifie innombrable, en quantité infinie, signifie douceur, profusion sans limites ! »
Annemarie Schwarzenbach,
Où est la terre des promesses ?
Avec Ella Maillart en Afghanistan
(1939-1940)
Payot
Pénombre, Juin 2005