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La mer qu’on voit monter...

Le niveau de la mer évolue. Quand c’est une vague brutale en une région du globe, c’est un tsunami et des victimes pouvant se chiffrer par centaines de milliers. Quand c’est une montée lente, inexorable et générale, c’est l’inconnu, car c’est la conséquence du réchauffement de la planète et donc le résultat de prévisions ou de calculs à partir d’études de phénomènes complexes. Et, effectivement, on peut tout lire sur l’évolution du niveau moyen de la mer, par exemple pour les cent ans à venir.
 - 10 cm à 110 cm suivant les scenarii, d’après le GIEC (source UNEP) ;
 - 50 cm ou 6 m suivant les hypothèses (R .Sadourny, Le climat est-il devenu fou ?, Editions Le Pommier) ;
 - et jusqu’à 15 m parfois dans la presse écrite !

Or, ces centimètres ou ces mètres qui se baladent allègrement dans ces prévisions ne sont pas anodins. Quand on demande à des spécialistes ce qu’il faut en penser, la réponse est claire : tout est possible, c’est un problème de χ² ! Alors qui peut nous éclairer dans cette pénombre ? Une nouvelle commission de l’eau nue ? Un quarteron d’anciens premiers ministres, tous énarques et tous plus brillants les uns que les autres, enfin passionnés par des problèmes d’intérêt général communs ? Une noria de polytechniciens issus des corps des Mines, des Ponts et des Eaux et Forêts, tous unis pour traiter les problèmes liés à l’évolution du niveau de la mer ? Qui d’eux ? en effet ! Car c’est une question qui intéresse tout le monde ! Il suffit de voir, depuis des années, sur tous les continents, les populations s’agglutiner le long des côtes, pour en être persuadé. En France, une récente prévision annonce une augmentation de la population côtière de 3,4 millions d’habitants d’ici 2030 (La Croix, 14 février 2005, étude sur le littoral, Datar 2004). Est-ce pour regarder la petite eau qui monte, qui monte, qui monte ? Est-ce pour vérifier la pertinence des estimations ? Pour comparer l’influence sur la montée des eaux de la dilatation thermique des océans à celle de la fonte des glaciers aux pôles, ou à celle de la fonte des neiges éternelles ? Pour faire le bilan perte par évaporation / apport par pluie ? Est-ce pour partager les craintes des Hollandais abrités derrière leurs digues (déjà en cours de surélévation de 70 cm environ) ? Est-ce pour connaître à leur tour les expériences des habitants de Venise, des bords de la Baltique, du Bengladesh ou de toutes ces régions du monde victimes d’inondations catastrophiques, qui font par an des dizaines de milliers de morts ?

Comment, face à une catastrophe annoncée, rendre les chiffres plus explicites et les précautions plus évidentes ? Faut-il faire appel à des experts pessimistes, à des politiques inquiets, à des décideurs courageux ? Contrer les scientifiques rassurants ? (cf. P.F. Ténière-Buchot, Politique de l’eau et gestion des risques, Collège de France, Conférence du MURS, 19 octobre 2004)

Patrick van Effenterre


Pénombre, Juin 2005