A la demande de Pénombre, Nicolas Bourgoin, démographe, nos informe de l’état de la question des suicides de policiers. Auteur d’un ouvrage sur le suicide en prison, il était bien placé pour se livrer à une analyse que les commentateurs avides de chiffres à sensation n’ont guère pris la peine d’envisager. Texte publié en 1997.
La lettre grise n°3 (page d’archives du site de Pénombre, nouvelle fenêtre)
L’auteur tourne sept fois sa plume dans sa calculette, et il a sept fois raisons de le faire, mais l’opinion du lecteur est vite faite : les policiers ne se suicident pas significativement plus que "d’autres catégories de population comparables". On serait même, perfidement, tenté de renchérir : si un test statistique permettait de neutraliser l’effet de la "variable : détention d’une arme à feu puissante et bien entretenue", la propension au suicide réussi pourrait s’avérer plus faible chez les policiers que dans d’autres catégories… etc. So what ?
La question devient-elle : par quels habiles procédés quels groupes de pression ont-ils réussi à susciter une intense campagne de presse sur les déplorables conditions de travail de leurs mandants, et les suicides résultants ?
Où s’illustre un douloureux dilemme, familier aux lecteurs de Pénombre :
On pourrait gloser longuement, et apporter notre grain de sel aux analyses ici présentées des causes policières du suicide. Une seule remarque : il semble bien que le point haut de la courbe du suicide selon l’ancienneté soit le même que celui de la fréquence des fautes professionnelles (rapport le Doussal, ministère de l’Intérieur, non publié). Interprétation ? Je préfère rester sur cette question : quels sont ici les enjeux de la mesure, ou : qu’est-ce qui est en jeu lorsqu’on essaie de savoir si les policiers se suicident plus, autant ou moins que d’autres ? Je laisse bien sûr de côté la question, pas si subsidiaire que cela, de savoir ce que peut bien signifier, tout compte fait, la notion de population comparable.
Dominique Monjardet