Lu dans Libération du 29 novembre 1993, sous le titre "Le succès du travail d’intérêt général" : "Dix ans après la loi sur les peines de substitution, le bil4n dressé par le tribunal de grande instance de Versailles a fait apparaître, pour 1992, un taux de succès des décisions de travail d’intérêt général (TIG) supérieur à 90%".
Quelle réussite ! On devrait publier ces taux par TGI (tribunal de grande instance) comme on le fait pour les taux de réussite au baccalauréat, par lycée. Mais, si ces derniers ont un sens évident - chacun sait ce qu’est une réussite à un examen - le succès au TIG, c’est une autre paire de manches. Continuons la lecture instructive de l’article de Libération.
"Sur les 400 TIG effectués en 1992, dans les Yvelines, 37 ont été révoqués faute d’avoir été exécutés jusqu’à son terme". Ainsi, le succès du TIG se mesure à l’aulne de la proportion de sanctions exécutées normalement ! N’est-ce pas se satisfaire à bon compte (sic) ? L’article précise "Dans ces 10% (les 37 cas) on trouve surtout des toxicomanes". Autre façon de dire qu’en choisissant mieux les prévenus contre lesquels on prononce un TIG, on devrait pouvoir obtenir un succès total (100 %). Évaluer la pratique du TIG dans une juridiction (ou au plan national) nécessite plus que cela, surtout à l’heure où le nouveau code pénal lui reconnaît ses titres de noblesse : de substitutive la voici devenue peine à part entière.
Il reste à souhaiter que les juges suivent le législateur en sa volonté de faire évoluer le sens de la sanction et quittent le réflexe du tout carcéral. Le TIG est certainement la mesure la plus adaptée à la réinscription du délinquant dans la société ; il peut être le point de jonction entre l’individu et le tissu social dont il est issu.
Le TIG sans nul doute peut être vécu comme une mesure positive valorisante pour les condamnés, et, contrairement à la prison qui trop souvent renforce les attitudes d’opposition à toutes les institutions, il développe les comportements d’intégration. Encore faut-il que les postes proposés soient suffisamment diversifiés pour pouvoir être adaptés à des profils individualisés et qu’ils ne maintiennent pas dans la marge ceux à qui ils sont attribués.
Il appartient au directeur de probation et au juge de l’application des peines notamment de "décrocher" des postes autres que répétitifs ou purement occupationnels. C’est sans doute au prix de longues négociations que des postes enrichissants sont offerts aux délinquants. Ces derniers d’ailleurs sont souvent les meilleurs ambassadeurs. En outre, il est fréquent d’entendre les organismes d’accueil se plaindre de la vacance des postes... L’adéquation du travail à l’individu est la dé de la réussite de la mesure.
Mais surtout le "succès" du TIG est d’avoir permis aux collectivités (institutionnelles et associatives) de se réapproprier la gestion de leurs déviants. Le TIG permet, plus que toute autre mesure, l’équilibre entre des impératifs qui peuvent sembler contradictoires : le reclassement du condamné et le respect de l’ordre public. Gardons-nous cependant - ainsi que l’article paru dans Libération nous le rappelle - d’oublier que la mesure repose également sur une discrimination positive. Et, en aucune manière, la responsabilité collective ne saurait se substituer à celle de l’individu délinquant, et elle n’aura d’aboutissement que si, au contraire, elle est un vecteur de la reconnaissance de la personne en tant qu’acteur de la gestion de sa peine, puis de sa vie.
Josiane Bigot et Pierre Tournier
Pénombre, Juin 1994