La dette publique, selon la dernière publication* de l’INSEE, s’élèverait en France à 1717 Md €. Chaque enfant qui naît chez nous aurait ainsi sur le dos, dès le premier jour, un fardeau de plus de 25 000 € à rembourser... C’est trop effrayant !
Du coup, moi je préfère dire : « Chaque enfant qui naît chez nous a, dès le premier jour, une créance de plus de 25 000 € à récupérer ». C’est bien meilleur pour le moral, et ce n’est ni plus ni moins exact que l’affirmation précédente.
En effet, ces 1 717 Md €, à qui sont-ils dus ? Ben, en gros, à des Français. Les Français doivent aux Français, pour l’essentiel.
Pas tout à fait, à vrai dire, parce qu’il y a des étrangers parmi les créanciers... mais il y a symétriquement des Français qui ont prêté à des États étrangers : faire le solde des deux est un peu compliqué, mais en gros, on peut estimer que ça s’équilibre. Les Français, qui ont de bonnes habitudes de bas de laine, épargnent (et « placent », c’est-à-dire prêtent) globalement autant qu’ils empruntent. Mon affirmation n°2 est donc bien valide.
Une question quand même : cette affirmation veut-elle dire réellement quelque chose ? Pas vraiment, il faut l’avouer. En effet, qui doit quoi à qui ?
Ces 1 717 Md €, ce sont des dettes des Français envers la puissance publique : en effet, celle-ci a fourni des services et a dû dépenser de l’argent pour cela. L’État, les communes, la Sécu ont fourni des prestations au peuple et le peuple n’a pas tout payé : le peuple s’est donc constitué progressivement une ardoise de 1 717 Md € auprès de « l’État » au sens large. Du coup, l’État a dû emprunter de plus en plus pour payer des fonctionnaires, des entreprises, etc. pour produire les prestations pour le peuple.
Et auprès de qui l’État a-t-il emprunté ? In fine, auprès du peuple, pardi, même si les banques et quelques autres ont servi d’intermédiaires.
Résumons : l’État a fourni des services au peuple, le peuple n’a pas tout payé, mais a prêté à l’État de quoi survivre. Je prends une baguette chez le boulanger, je ne la paye pas, mais j’ai la courtoisie de lui prêter (avec un intérêt modeste) un euro. Ça paraît à peu près clair.
Oui, mais il y a peuple et peuple ! Pour le dire comme ça, le « peuple des usagers » a bénéficié de prestations que le « peuple des contribuables » n’a pas payées et, alors, le « peuple des épargnants » a prêté beaucoup d’argent à l’État. Évidemment, l’usager, le contribuable et l’épargnant n’ont pas le même profil-type.
En gros, selon les bons principes républicains, l’État doit :
fournir selon les besoins,
collecter l’impôt selon les « capacités contributives » (selon Adam Smith, du moins),
emprunter selon les disponibilités.
Les trois n’ont pas la même géographie sociale. Les capacités contributives et les disponibilités sont logées à proximité les unes des autres dans la société, par construction.
Voyez-vous où je veux en venir ?
Jean-René Brunetière
*N.d.l.r. : une première version de ce texte citant la « dernière publication de l’Insee », donnait 1 471 Md €. Mais la dernière publication de l’Insee se périme assez vite (surtout depuis décembre 2007 !) comme l’indique l’illustration qui l’accompagne : Dette au sens de Maastricht des administrations publiques en point de PIB. Insee, Informations rapides, n°83, Mars 2012.