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Manières de faire des mondes

Les extraits qui suivent illustrent la pensée de N. Goodman, philosophe américain représentatif d’un courant qui se démarque du réalisme et de l’idéalisme partagés par maints scientifiques, dont A. Einstein.
 

« Quoi qu’on ait à décrire, on est limité par les manières de décrire. A proprement parler, notre univers consiste en ces manières plutôt qu’en un monde ou des mondes. » (p.11)

« Pour autant qu’on peut parler de déterminer comme correctes les versions qui « nous apprennent quelque chose sur le monde » - « le monde » étant, suppose-t-on, celui que toutes les versions correctes décrivent -, tout ce que nous apprenons du monde est contenu dans les versions correctes élaborées à son sujet ; et pour autant que le monde sous-jacent, dépouillé de ces versions, n’a pas besoin d’être nié pour ceux qui l’aiment, il est peut-être après tout un monde bien perdu. A certains égards, nous pourrions définir une relation qui classerait les versions en des groupes tels que chacun constituerait un monde et dont les éléments seraient des versions de ce monde ; mais à de nombreux égards aussi, les descriptions correctes du monde, les dépictions du monde, les perceptions du monde, les-manières-dont-le-monde-est, ou seulement les versions, peuvent être traitées comme nos mondes. » (p.12)

« Alors que concevoir sans percevoir est simplement vide, percevoir sans concevoir est aveugle (totalement non opératoire). » (p.14)

« Pour construire le monde comme nous savons le faire, on démarre toujours avec des mondes déjà à disposition ; faire, c’est refaire. » (p.15)

« Loin d’être un maître solennel et sévère, la vérité est un serviteur docile et obéissant. Le scientifique s’abuse lui-même quand il suppose qu’il est un esprit uniquement voué à la recherche de la vérité. Il ne s’intéresse pas aux vérités triviales qu’il pourrait ressasser sans fin, mais s’occupe de résultats d’observations irréguliers et à facettes multiples, qui ne lui fourniront pas plus que des suggestions pour des structures globales et des généralisations significatives. Il recherche le système, la simplicité et la portée ; et quand il est satisfait sur ces rubriques, il taille la vérité à leur mesure. Il décrète autant qu’il découvre les lois qu’il établit, il dessine autant qu’il discerne les modèles qu’il définit. » (p.27)

« Si, en outre, les mondes sont autant faits que trouvés, alors connaître c’est autant refaire que rendre compte… Découvrir des lois implique de les rédiger. » (p32)

Nelson Goodman, Manières de faire des mondes
Texte proposé par B. Aubusson de Cavarlay

 
Pénombre, Février 1995