AU MOMENT OU ce papier est écrit (fin avril 2005) le gouvernement prépare un projet de loi sur la prévention des violences. Parmi celles-ci, les mariages forcés. À ce propos Le Monde du 27 avril 2005 écrit : « Les mariages forcés sont surtout développées dans les communautés issues du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal. Les associations évaluent à plus de 70 000 le nombre de jeunes femmes mineures et majeures concernées. » En vigilant Pénombrien je me demande comment ce chiffre a été obtenu, mais surtout ce qu’il est censé signifier. Car que sont des « personnes concernées par un phénomène » ? Il y a 60 millions de Français concernés par la mort, va-t-on s’en alarmer ? S’agit-il de femmes qui subissent ou ont subi ce type de mariage ou de femmes qui risquent d’y être confrontées ? Ou encore de femmes qui ont été mariées de force ou des nouvelles mariées de force chaque année, autrement dit, de stocks ou de flux, comme disent les gestionnaires et les statisticiens, ce qui n’est pas du tout la même chose ?
J’ai donc allumé mon moteur de recherche Goût-Gueule. J’ai fini par trouver que le chiffre en question émane du rapport que le Haut Conseil à l’Intégration a remis au Premier ministre le 26 janvier 2003 : « Le contrat et l’intégration » , « rapport réaffirmant les droits individuels des personnes issues de l’immigration »1. On y lit effectivement que : « Selon les chiffres convergents rassemblés par les associations que le HCI a auditionnées, plus de 70 000 adolescentes seraient concernées par des mariages forcés en France ». Je n’en saurai pas plus. Bref, pour une bonne cause, un chiffre qui n’a pas de sens !
Mais je ne suis pas au bout de mon étonnement, car dans ce même rapport il est aussi question de l’excision. Il y est écrit : « L’excision : 35 000 jeunes filles ou femmes seraient mutilées ou menacées d’excision en France. Cette estimation du GAMS est proche de celle du ministère des Affaires sociales, qui évalue que 20 000 femmes et plus de 10 000 fillettes sont concernées ou menacées par une excision sur le territoire français ». Même interrogation ? Qu’est-ce que des personnes concernées ou menacées ? Si je comprends bien, ce chiffre additionne les femmes venues en France et qui avaient été excisées dans leur pays, la France n’étant donc pas responsable, les petites filles qui sont excisées en France, ce qui est justement interdit dans notre pays, et celles qui pourraient l’être mais ne le seront pas, ne fût-ce que par peur de la loi française. Un tel amalgame n’est pas sérieux.
Comment le GAMS, « Groupe femmes pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles et autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants », a-t-il abouti à ce chiffre ? Sur son site2 on lit : « En s’en tenant aux décomptes des titres de séjour en cours de validité par nationalité (ministère de l’Intérieur 1989 [sic]), on peut estimer qu’il y a au moins 20 000 femmes et 10 000 fillettes mutilées ou menacées résidant sur le territoire français. » Autrement dit, les chiffres en question ne résultent pas de l’observation du phénomène, mais d’application de sortes de « taux de risques (de quoi ?) » pifométriques à des populations issues des pays visés. Remarquons encore que les chiffres du ministère des Affaires sociales, qui sont censés conforter ceux du GAMS, sont repris… du GAMS.
Je pensais avoir atteint le summum du non-sens, mais il n’en était rien. Car ce chiffre de 35 000, qui n’a pas de pertinence, mais dont on peut néanmoins dire qu’il prétend mesurer un nombre de personnes, un stock, devient dans la bouche de Blandine Kriegel, la présidente du HCI et donc responsable du rapport en question, un flux annuel. En effet dans une interview à L’Express du 26 janvier 20043, celle-ci déclare : « Pendant des années, on a passé sous silence des faits intolérables. Je ne pouvais pas imaginer qu’il y ait 35 000 excisions par an en France [sic] ».
Personnellement je ne peux toujours pas l’imaginer !
Alfred Dittgen
1. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr
2. http://pagesperso-orange.fr/%20..associationgams/index.html
3. www.lexpress.fr
Signalons l’émission d’Arrêt sur Image (11 décembre 2005) traitant Polygamie, immigration, chiffres et fantasmes.
P.S. Pour contrer les mariages forcés, le projet de loi du gouvernement prévoit de reculer l’âge minimum au mariage des jeunes filles à 18 ans, âge de la majorité, ce qui a aussi pour objet d’égaliser cet âge avec celui des garçons. L’auteur de ces lignes a dénoncé cette « discrimination sexuelle » (voir n° 34, juillet 2003, « Du nombre des noms »). Aurait-il été entendu ?
Pénombre, Décembre 2005