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Mise au net

Stupéfaite à la cime de l’instant,

La chair se fait verbe – et le verbe se précipite.

Se savoir banni sur terre, étant soi-même terre,

C’est se savoir mortel. Secret archi-connu

Et aussi secret vide, sans rien à l’intérieur.

Les morts n’existent pas, seulement la mort, notre mère.

L’aztèque le savait, le grec le pressentait :

L’eau est feu et pendant le parcours

Nous autres ne sommes que feux de paille.

La mort est la mère des formes…

Le son, bâton aveugle du sens :

J’écris la mort et je vis en elle

Un instant. J’habite ce son :

cube pneumatique transparent,

il vibre sur cette page,

disparaît dans ses échos.

Paysages de mots :

mes yeux les dépeuplent rien qu’à les lire.

Peu importe : mes oreilles les propagent.

Ils ressurgissent là-bas, dans les zones indécises

Du langage, villages lacustres.

Ce sont des créatures amphibies, ce sont des mots.

Ils passent d’un élément à un autre,

Ils se baignent dans le feu, reposent dans l’air.

Ils sont de l’autre côté. Je ne les entends pas :

 que disent-ils ?

Ils ne disent rien : ils parlent, parlent.

Octavio Paz, Mise au net (Pasado en claro), trad. Roger Caillois, 1975