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Ne prenez pas les chiffres en grippe !

EN SEPTEMBRE 2009, on attendait encore le vaccin contre le virus H1N1. Pour faire passer le temps, on comptait les morts. Ça énervait quelques Pénombriens qui voulurent en parler lors de l’assemblée générale du 23 octobre 2009. Voici ce qu’il en reste dans nos archives…

« Le taux de létalité est la proportion de cas fatals liés à une maladie par rapport au nombre total de cas atteints par la maladie. »

Le dénominateur : le nombre total de cas de grippe A

Jusqu’au 8 juillet 2009, c’était très facile : on comptait tout le monde. Évidemment, il fallait savoir ce que l’on comptait. Donc on comptait des cas possibles, c’est-à-dire toute personne qui présentait « un syndrome respiratoire aigu, de début brutal, défini par la survenue d’une fièvre de plus de 38°, ou de courbatures, ou d’asthénie, ou d’au moins un signe respiratoire, toux ou dyspnée, associé à un séjour datant de moins de sept jours dans une zone dans laquelle une circulation du nouveau virus de la grippe A H1N1 2009 dans la communauté avait été mise en évidence ».

En gros, on revenait du Mexique, on avait la fièvre et on toussait, on était un cas possible. Tous les cas possibles étaient testés. On faisait un prélèvement, on l’envoyait dans un centre spécialisé dans l’analyse virologique, on analysait le prélèvement, et puis on savait si la personne avait la grippe A ou pas.

À l’issue de ces deux étapes, on arrivait à compter les grippes A.

Ça, c’était jusqu’au 8 juillet 2009.

Après, on s’est rendu compte qu’il commençait à y avoir beaucoup de malades, et surtout qu’ils ne revenaient pas tous d’une zone infectée, et puis la circulation du virus s’est amplifiée… ça s’appelle un début d’épidémie. On est alors passé à la deuxième phase de la surveillance, une phase beaucoup plus classique, qui se fait tous les ans pour la grippe saisonnière : ce que l’Institut de veille sanitaire appelle une surveillance populationnelle. L’essentiel du système mis en place repose sur des réseaux de médecins libéraux volontaires, assez nombreux. Il y a deux grands réseaux, le réseau Sentinelles, un réseau généraliste qui compte les cas de toutes sortes de maladies contagieuses, y compris les gastro-entérites… et puis le réseau GROG qui surveille l’ensemble des infections respiratoires aiguës incluant les grippes cliniques, et normalement ne travaille que l’hiver. Là, ils ont été obligés de commencer un peu avant…

Il s’agit donc de médecins qui comptent parmi leur clientèle les gens qui sont des cas possibles de grippe. Les deux réseaux n’ont pas tout à fait les mêmes définitions, mais il s’agit en gros d’un cumul de symptômes : fièvre, courbatures et toux. Parmi leurs consultations, les médecins volontaires comptent ces situations-là et transmettent l’information régulièrement au réseau. Comme ces réseaux existent depuis très longtemps, on peut constater, en faisant une analyse temporelle, s’il y a un surplus de consultations. Le surplus de consultations peut être attribuable à la grippe A, mais il peut aussi être attribuable à plein d’autres choses. Il peut être attribuable au fait que, comme il y a une grippe A, les gens vont davantage consulter, et puis il peut être attribuable à d’autres virus.

De plus, un de ces réseaux fait des prélèvements, les fait analyser, et compte, parmi ces prélèvements analysés, ceux où le virus de la grippe A est détecté. Et le pourcentage nous fait quand même une bonne base pour une règle de trois qui paraît tout à fait utile et adaptée pour estimer, en gros, un nombre de cas de grippes A…

Il y a des cas plus compliqués… Les cas graves sont tous comptés un par un à l’hôpital. Et puis il y a les cas groupés, ce que les épidémiologistes appellent des clusters : au moins trois personnes malades dans une même communauté… On a beaucoup entendu parler de classes d’écoles, mais ça peut être dans une entreprise, ou dans un lieu où les gens se rencontrent ou vivent ensemble… Un médecin constatant un cas groupé est tenu de le déclarer à la DDASS de son département, et des analyses virologiques sont faites systématiquement. Les cas groupés continuent à être analysés en tant que tels, et visiblement, ce sont ceux-là qui intéressent beaucoup les politiques de santé.

Pour résumer, on évalue à présent les cas de grippe A plus ou moins comme on évalue chaque année les grippes saisonnières, alors qu’au début, on comptait chaque cas un par un.

« Ce que nous savons du virus fait que cette estimation, même si elle n’est pas vérifiée pour l’instant, peut ne pas être improbable. »

Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, en visite en Nouvelle-Calédonie, août 2009


Alors quels sont les résultats de ces estimations ? Quand on comptait tout le monde, on arrivait péniblement à 400 cas par semaine, et quand on est passé aux méthodes traditionnelles, on est arrivé à 100 000. Bien sûr, entre-temps, il y a eu un déclenchement d’épidémie. Mais à un moment, les deux méthodes se sont chevauchées. Et, à ce moment-là, suivant qu’on prend la statistique exhaustive ou la surveillance épidémiologique, on a presque un écart d’un facteur 1 000. Il faut dire aussi que c’est à ce moment-là que sortent quelques articles qui font peur à tout le monde. À l’époque, à New York, il y a 250 cas recensés, alors que les sondages d’incidence donnent 10 % de la population touchée...
 

 

Le numérateur

Le bulletin de l’Institut de veille sanitaire (INVS) en date du 20 octobre 2009 recense 36 décès pour cause de grippe H1N1 en France. Il y en a 9 en France métropolitaine, et tout le reste est dans les DOM-TOM. La Nouvelle-Calédonie est dans l’hémisphère sud, et donc en avance par rapport à la métropole. À cette date, elle en est exactement au même effectif de décès (9) que la métropole avec une population beaucoup plus faible (250 000 habitants).

Dans la presse, l’information du décès pour grippe H1N1, c’est : « le défunt était porteur du virus ». Pourtant, ce n’est même pas si sûr que ça, puisque l’un des 9 décès en Nouvelle Calédonie est celui d’une personne de 86 ans pour laquelle on n’a pas eu l’occasion de faire l’identification du virus… Mais elle est comptée dans la statistique, elle est une parmi les 9.

Le bulletin de l’INVS du 25 août signale le décès en métropole depuis le début de l’épidémie de deux personnes atteintes de maladies chroniques graves. Celui du 8 septembre d’un troisième cas identique. Les deux cas de la semaine du 17 août en Nouvelle-Calédonie avaient 27 et 58 ans, tous les deux avaient une pneumonie bilatérale. On est sûr à 100 % qu’ils étaient porteurs du virus, ça c’est l’information qu’on lisait dans la presse locale, mais on est certain également que ce n’est pas la grippe qui a causé leur décès, il y avait par ailleurs des pathologies importantes.

Dans la semaine du 15 septembre, en France métropolitaine, le bulletin signale deux décès dont celui d’une personne de 26 ans qui était en bonne santé. C’est alors le seul. Tous les autres exemples étaient porteurs de pathologies associées.

En somme, le numérateur lui-même, est sujet à caution.

Le quotient

Le 20 octobre en Nouvelle-Calédonie, on lisait que l’incidence dans les 250 000 personnes était de 17 %. Neuf décès sur les 17 % de la population, on est à 0,22 pour mille. En métropole, pendant la période correspondant aux 9 décès (avant le 20 octobre 2009), il y a eu environ 300 000 consultations pour fait de grippe détectés par les réseaux, donc on est à 0,03 pour mille, taux de létalité actuel… La létalité de la grippe saisonnière est, elle, de l’ordre de 2 pour mille à peu près, d’après les chiffres que l’on trouve dans la littérature.

Une conclusion provisoire

Finalement, on ne sait en réalité pas grand-chose des chiffres.

Ce que l’on sait, si on regarde les données du CDC à Atlanta (Centers for Disease Control and Prevention) sur la pandémie grippale, c’est qu’il y a effectivement une épidémie de grippe, qui est en train de se terminer aux États-Unis d’après les chiffres, et qu’elle s’insère exactement à une période où il n’y avait pas de grippe normalement… Elle démarre juste à la fin de la vague précédente et elle a exactement le même profil, donc en fait, c’est une nouvelle grippe qui vient se rajouter à l’existante. En termes de quantité, c’est vraiment l’impression que donnent les chiffres.

On pourrait peut-être résumer en disant que cette grippe semble très contagieuse, mais pas très mortelle. Elle achève les gens, mais ne les tue pas…

Il est vrai que le virus peut muter. S’il mute, le vaccin ne marchera pas, mais est-ce qu’au moins, on saura compter ?

Aube Twilight, François Sermier
 
 
Ndlr : finalement, au 20 avril 2010, l’INVS établit le tableau des « décès liés à la grippe A (H1N1) 2009 en France métropolitaine » à 312, dont 50 ne présentant pas de facteur de risque particulier. Quant au dénominateur…

Pour la situation aux USA :

http://www.cdc.gov/h1n1flu/estimates_2009_h1n1.htm
En Europe :
http://ecdc.europa.eu/en/publications/Publications/101108_SPR_pandemic_experience.pdf
2 à 3 pour 10 000 semble être le taux de létalité estimé pour l’épidémie A (H1N1) 2009, avec réserves….

Voir aussi : France Meslé, « Recul spectaculaire de la mortalité due à la grippe : le rôle de la vaccination », Population et sociétés, n°470, septembre 2010.

Le contenu de cet article, dont le titre résume l’essentiel, est fortement contesté par le Dr Dominique Dupagne sur son forum d’échanges médicaux (« Grippe saisonnière : 7000 morts d’après les organisateurs, 500 d’après la police. Le flou autour des statistiques de la mortalité grippale aveugle les scientifiques »
http://www.atoute.org/n/article163.html

 
 
Pénombre, Janvier 2011