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Obscurités

Le Monde du 9 septembre 2004 rapporte une étude de l’INSEE sur les inégalités « sociales » à Paris. Une étude dite « inédite », ce qui explique sans doute que le journal n’en donne pas la référence ; ce qui m’empêche de m’y reporter pour éclairer ce que je vais dire. Et si l’Institut ne l’a pas « éditée », serait-ce parce que les résultats ne sont pas validés, et en ce cas mieux vaudrait ne pas s’y référer…

En fait d’inégalité « sociale », il ne s’agit que d’une étude sur les revenus déclarés au fisc : pas même, donc, la totalité des revenus. Et, de plus, les revenus ne sont qu’un des aspects de l’inégalité sociale.

« En 2001, les Parisiens les plus aisés ont déclaré en moyenne 50 961 euros de revenus, soit dix fois plus que les foyers les plus modestes, qui n’ont déclaré que 4 864 euros. » Rien ne permet de savoir comment sont définis « les plus aisés » ; non plus que « les plus modestes ».

Une façon habituelle de rendre compte de l’inégalité des revenus consiste à déterminer le montant (la barre) au-dessus duquel se trouvent 10 % des intéressés et à le comparer au montant (la barre) au-dessous duquel s’en trouvent 10 % aussi. Les spécialistes appellent ceci l’intervalle « inter-décile ». Au lieu de 10 %, on peut choisir tout autre pourcentage : 25 %, 5 %, 1 %, etc. Ainsi, il faut dire ce qu’on a choisi pour donner une signification aux chiffres.

Dans le cas présent, il est écrit que les « plus aisés » ont déclaré 50 961 euros en moyenne. 50 961 euros n’est donc pas la barre au-dessus de laquelle ils se situent, mais la moyenne de ce groupe indéterminé. On notera que, pour les X % les plus aisés, la moyenne est supérieure à la barre. On a là une autre façon de mesurer l’inégalité (par exemple, moyenne des 10 % les plus riches comparée à la moyenne des 10 % les plus pauvres) utilisée parfois aussi par les statisticiens. Pour celle-là aussi, on a besoin de préciser le pourcentage considéré. Si l’on prend 25 % l’écart apparaît bien moindre qu’avec 10 % ; et, en prenant 1 %, il aurait été de beaucoup plus que du décuple. Faute d’indication, on ne sait donc pas si l’on doit trouver ça important ou faible.

Et ce n’est pas tout. L’article poursuit en mentionnant que l’étude en cause analyse les disparités par quartiers. Elle utilise pour ce faire la « médiane », c’est-à-dire le montant qui partage la population en deux groupes égaux (50 % au-dessous et 50 % au-dessus) : indicateur préférable au revenu moyen parce que « moins sensible aux extrêmes ». Soit ! Mais alors, pour caractériser les groupes extrêmes, pourquoi avoir retenu leurs moyennes respectives ? Si quelques revenus exceptionnellement élevés ou particulièrement bas perturbent la moyenne générale au point de lui faire perdre sa signification, ne perturbent-ils pas encore bien plus ces deux moyennes des groupes extrêmes ?

Autrement dit, à la négligence pédagogique de la journaliste, qui n’a pas précisé ce que veut dire ce qu’elle écrit, s’ajoutait une incohérence des auteurs de l’étude. Après cela, nous pouvons encore admirer la précision du résultat : 50 961 ! Que voilà un arrondi grossier : le calcul exact n’aurait-il pas été plutôt 50 960,843 euros ?

René Padieu


Pénombre, Novembre 2004