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Sondages estivaux

EN AOÛT, l’activité politique est généralement calme, au point qu’en 2003 les morts de la canicule avaient largement échappé aux responsables alors en vacances. En 2010, pendant la clôture, les affaires ont prospéré et, surtout, les sondages se sont multipliés, en particulier sur les questions de sécurité et sur les mesures qui touchent les Roms.

Le sondage IFOP publié par Le Figaro en date du 5 août semble valider, sinon plébisciter, les annonces de la majorité sur les Roms, la déchéance de nationalité, les peines plancher, la vidéo-surveillance : 80 % des Français seraient favorables à « l’instauration d’une peine incompressible de 30 ans de prison pour les assassins de policiers et de gendarmes », 79 % au « démantèlement des camps illégaux de Roms », 70 % au « retrait de la nationalité française pour les délinquants d’origine étrangère en cas d’atteinte à la vie d’un policier ou d’un gendarme », et 80 % au « retrait de la nationalité française aux ressortissants d’origine étrangère coupables de polygamie ou d’incitation à l’excision ».

Le lendemain, un sondage CSA publié dans L’Humanité et portant sur les mêmes thèmes passe quasi inaperçu. Les résultats sont moins spectaculaires que ceux du sondage IFOP : 62 % (contre 79 %) des personnes interrogées sont favorables au démantèlement des camps illégaux de Roms, 57 % (contre 70 %) au retrait de la nationalité pour meurtre de policier. De plus, l’écart entre les deux enquêtes s’intensifie sur les réponses extrêmes (« tout à fait » et « pas du tout »).

Le 13 août, on apprend, via un autre sondage CSA commandité par Marianne, que 69 % des sondés estiment « la politique menée en matière de sécurité intérieure au cours des huit dernières années est plutôt inefficace », que 51 % sont plutôt défavorables à la « proposition de loi qui consisterait à retirer la nationalité française à une personne d’origine étrangère ayant volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, ou ayant commis d’autre crimes graves », parce que « tous les Français doivent être égaux face à la loi quelle que soit leur origine », enfin, que 66 % des sondés estiment que « les Français qui s’exilent pour ne pas payer d’impôts en France » ne méritent pas la nationalité française.

Plus tard dans le mois (20 août) sort le Baromètre Ipsos de l’action politique : Nicolas Sarkozy reste à un bas niveau d’opinions favorables : 34 % (-1 point) contre 63 % (+2 points) d’opinions défavorables. Par ailleurs, Dominique Strauss Kahn (58 % d’opinions favorables), reprend la tête du classement.

Faut-il croire les sondages ?

Après tout, un sondage CSA publié le 8 août par La Vie nous avait déjà informés que 59 % des Français ne croyaient pas au Paradis ! L’intérêt de ces sondages d’août tient moins à leurs résultats (contradictoires pour certains) qu’aux commentaires qui les ont accompagnés dans la presse.

Déjà, pour les sondeurs, que les sondages se suivent et ne se ressemblent pas ne signifie pas forcément qu’ils sont contradictoires (sic). Avec une explication qui ne fait pas avancer le schmilblick. Après avoir rappelé les résultats cités plus haut, un article du Point le 13 août leur donne la parole :

« Contradictions ? Pas forcément, répondent en substance Jean-Daniel Lévy (CSA) et Jérôme Fourquet (IFOP). “Tout dépend de la formulation des questions”, explique M. Lévy qui juge même “complémentaires” les enquêtes. “On a passé beaucoup de temps à réfléchir à la formulation pour éviter que la réponse ne soit dans la question”, ajoute-t-il. Dans Marianne, selon le politologue, on donne aux sondés le choix entre deux types d’arguments : “un argument gouvernemental (vous êtes favorable à cette proposition car l’acquisition de la nationalité doit être remise en cause en cas d’acte grave) et un argument de ceux qui critiquent la proposition (vous êtes défavorable car tous les Français doivent être égaux devant la loi quelle que soit leur origine)”. Réponses : 46 % de favorables, 51 % de défavorables. “Dans ce contexte, les Français se rangent plutôt dans le deuxième type d’argument parce que l’égalité de tous devant la loi est bien ancrée chez eux”, analyse M. Lévy. Selon lui, “quand on interroge les Français sur leur rapport à l’immigration, ils sont perpétuellement tiraillés entre deux regards : celui qu’ils portent sur la France, pays des droits de l’Homme, et celui qu’ils portent sur le comportement des immigrés. Ils ont le sentiment que la situation économique est plus difficile pour les immigrés, mais que ceux-ci ne font pas toujours ce qu’il faut pour s’intégrer”. D’où, selon lui, les réponses, dans L’Humanité, de ceux qui jugent la mesure de déchéance de nationalité à la fois “nécessaire” et “discriminante”.

« Le directeur adjoint du département Opinion de l’IFOP pense également que tout dépend de “la formulation des questions” : “il faut être précis, le sujet est complexe”. Pour lui, “il n’y a pas de contradiction” avec le sondage CSA/Marianne selon lequel, par exemple, une très forte majorité de Français (69 %) jugent “plutôt inefficace” le bilan de sécurité du président. “Le fait que les Français plébiscitent les mesures préconisées par le président ne veut pas dire qu’il lui donne quitus sur sa politique sécuritaire”, soutient M. Fourquet. »

Examen de conscience

Rapidement, les critiques ont porté sur les techniques d’enquête, avec un recueil de l’information via Internet. L’IFOP y a répondu par un argumentaire de douze pages (« Sondages en ligne : une méthodologie éprouvée »). L’exposé a dû être convaincant puisque les critiques se sont rapidement tues. Elles se sont alors orientées sur la représentativité de l’échantillon, la période de réalisation de l’enquête et la formulation des questions.

Sur la représentativité de l’échantillon : les instituts se fondent sur la méthode des quotas, avec des critères de référence habituels (âge, sexe, habitat…). L’échantillon ainsi constitué est alors censé être représentatif de la population, mais rien ne prouve qu’il le soit également sur le plan de l’appartenance politique des répondants, en particulier pour les plus petites formations. Ceci d’ailleurs quelle que soit la méthode de recueil (face-à-face, téléphone, Internet).

Sur la période d’enquête : Libération le 7 août cite Avner Bar-Hen (président de la Société française de statistique) qui avance que sonder pendant les vacances pourrait introduire un biais parce que la population accessible n’est pas la même que pendant l’année. L’argument n’est pas sans intérêt, mais, depuis une quinzaine d’années, l’été n’est plus une période morte. Après tout, s’il fallait exclure tous les mois où il y a des jours fériés ou des congés, il ne resterait guère qu’octobre pour réaliser des sondages !

Sur la formulation des questions selon le même Libé, Avner Bar-Hen souligne que « les questions reprennent exactement les formulations du gouvernement. C’est là, plus que dans la méthode des sondeurs, que se situe le biais » et précise que l’expression « camp illégal » induit la réponse.

Alors, que faudrait-il écrire : « non autorisé », « illicite », en fait de parfaits synonymes d’illégal ! Sauf que ce ne sont pas les camps qui sont illégaux mais le stationnement ou l’implantation de caravanes. Et comment sonder l’opinion si on ne reprend pas une formulation répétée à longueur de journée par les médias ? (ndlr : il n’y a pas d’hélice hélas, c’est là qu’est l’os !)

Inversement, la question posée par Opinionway : « Êtes-vous favorable à l’expulsion vers la Roumanie de Roms sans papiers ? » est inacceptable de la part d’un institut, alors que celle du CSA : « Vous savez que le gouvernement procède actuellement à des reconduites en Roumanie de Roms dont les camps ont été démantelés cet été. Êtes-vous favorable ou opposé à ces reconduites ? » est conforme aux bons usages. Bien évidemment, l’autre sondage CSA publié par L’Humanité et qui précise les questions pour savoir si les mesures sont jugées « justes », « efficaces » « discriminantes », « nécessaires », sera plus nuancé. Mais je ne jurerais pas que l’adjectif discriminant soit compris de tous les interviewés !

Finalement, il n’y a rien de très original dans tout cela, y compris des résultats divergents entre sondages sur le même thème. En revanche, que journalistes et experts se mobilisent pour souligner que les méthodes d’enquête, l’échantillonnage ou la formulation des questions ne sont pas sans impact sur les résultats est intéressant, même si cette contestation des sondages, apparaît au moins autant comme la marque d’une contestation politique. D’ailleurs, depuis, les sondages ont repris sans soulever d’autres commentaires !

Daniel Cote-Colisson

 
Pénombre, Janvier 2011